Le Temps

La population genevoise fait l’apologie du compromis

Le corps électoral a adressé un message à ses élus. La recherche de solutions pragmatiqu­es doit prévaloir sur les postures idéologiqu­es, souvent retoquées par le peuple au prix d’une perte de temps et d’énergie

- MARC GUÉNIAT

A Genève, huit objets étaient soumis au vote ce dimanche 3 mars, sans compter les deux objets fédéraux. Pour la classe politique, qui tend à privilégie­r l’idéologie sur le pragmatism­e, le résultat d’ensemble sonne comme un avertissem­ent: la recherche de compromis est récompensé­e, tandis que l’intransige­ance, voire les velléités de ne pas tenir compte de précédents scrutins, est sanctionné­e.

D’abord, la population a plébiscité à plus de 63% une révision de la Constituti­on facilitant la consultati­on populaire. Le nombre de signatures devant être réunies pour faire aboutir une initiative ou un référendum passe de 2% à 1,5% du corps électoral, et de 3% à 2% pour une initiative constituti­onnelle. Cela alors que le canton est déjà le champion suisse des recours au peuple, phénomène qui s’explique notamment par la polarisati­on de la vie politique. L’objet était soutenu par la gauche et les deux formations de la droite populiste, l’UDC et le MCG. Face à eux, Le Centre, le PLR et Libertés et justice sociale.

Ce vote signifie, notamment pour la gauche, qu’il sera plus aisé de s’opposer à la majorité de droite, très tentée depuis le début de la législatur­e de passer en force au Grand Conseil. Elle l’a fait à plusieurs reprises, parfois dans des circonstan­ces douteuses, sabotant des mois de travail à l’aide d’amendement­s sortis du chapeau à la dernière minute. A chaque fois, la gauche a répliqué en lançant un référendum.

Santé, petite enfance, fiscalité ou aménagemen­t, les fronts se multiplien­t et, au bout du compte, le peuple devient l’arbitre permanent des querelles partisanes. En quelques mois, le nombre de référendum­s ayant abouti ou en passe de l’être dépasse largement la moyenne observée par le passé. La chancelièr­e, Michèle Righetti, note que le nombre de signatures requises ne joue pas de rôle décisif dans le fait que la population genevoise vote bien davantage que dans les autres cantons. Pour elle, c’est bien la «dynamique» de la vie politique, marquée par une forte polarisati­on, qui s’avère déterminan­te.

Le président du PLR, Pierre Nicollier, est convaincu que ce vote sur l’exercice des droits politiques était le plus important en raison de sa portée. «Il montre que nous devons trouver une autre façon de faire de la politique. La population le souhaite, c’est très clair. Sans quoi nous voterons tout le temps et sur tout objet plus ou moins controvers­é.» Ce changement de méthode paraît d’autant plus judicieux que, même si la droite domine, on constate que les majorités sont fluctuante­s et contre nature.

«Offensive» sur l’éducation

«La législatur­e a débuté de manière assez conflictue­lle, estime Antonio Hodgers, président du Conseil d’Etat. Il faut veiller au respect des équilibres.» Il se réfère notamment à l’offensive menée par le PLR et l’UDC sur l’éducation, qui inquiète le gouverneme­nt. «Les choses se font de manière frontale, musclée et sans concertati­on», poursuit l’élu vert, qui en conclut que le Conseil d’Etat «doit reprendre la main».

L’exécutif cantonal est donc ravi d’avoir été suivi sur les objets véritablem­ent politiques soumis au peuple: l’aménagemen­t du périmètre Praille-Acacias-Vernets et la taxation des véhicules. De fait, l’impôt auto constitue un bon exemple de concertati­on récompensé­e. Entre l’initiative de l’UDC prévoyant de diviser par deux cette imposition et le contre-projet concocté par les partis gouverneme­ntaux, la population a opté pour le compromis équilibré. A travers ce vote, et même si l’initiative est refusée de justesse, Pierre Maudet, conseiller d’Etat chargé de la mobilité, salue la double victoire de la «justice fiscale» et des «ambitions environnem­entales du canton».

Le magistrat en tire cet enseigneme­nt politique: «Dès que l’on franchit la frontière gauchedroi­te, on obtient des majorités.» C’est aussi l’avis de Jacques Blondin, président du Centre, qui s’autorise un «petit cocorico» pour avoir concouru à l’élaboratio­n de ce contre-projet «écorespons­able et équitable». Lequel épargne à Genève une perte de recettes fiscales de 59 millions de francs et surtout l’incitation à rouler davantage en voiture. L’acceptatio­n de l’initiative de l’UDC, qui visait à redonner du pouvoir d’achat à la population, aurait provoqué «plus de bouchons et plus de pollution», d’après le président du Parti socialiste, Thomas Wenger.

A gauche, on espère que ce dimanche débouchera sur une accalmie. «On en est à annoncer des référendum­s sur des lois qui n’ont pas encore été votées», regrette ainsi Delphine Klopfenste­in Broggini, présidente des Vert·e·s. Depuis le mois de mai, le scénario se répète invariable­ment lors de chaque session du Grand Conseil. Selon Thomas Wenger, le référentie­l a changé depuis que la droite s’est alliée lors des élections cantonales: «Cette alliance, pilotée par l’UDC et le PLR, se met d’accord puis passe en force. Par le passé, nous arrivions à trouver des coalitions sur les grandes réformes.»

Ce dimanche a aussi confirmé que la population genevoise élit à droite mais vote souvent à gauche. C’est une manière comme une autre de parvenir à l’équilibre.

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