George Galloway, une victoire pour Gaza
Elu député à Rochdale, dans le nord, le provocateur anti-israélien vient illustrer l’importance du conflit au Proche-Orient dans le vote britannique
Avec son distinctif chapeau en feutre sur la tête, son accent aux «r» roulés et sa voix de stentor, George Galloway s’est approché du micro vers 3h du matin vendredi et a jeté une grenade oratoire au coeur du Parti travailliste. L’agitateur politique de 69 ans venait de remporter l’élection législative partielle de Rochdale, dans le nord de l’Angleterre, et il n’avait rien perdu de son habituel mordant: «Keir Starmer [leader du Parti travailliste], ceci [cette victoire] est pour Gaza. Vous avez payé et vous continuerez à payer un prix élevé pour le rôle que vous avez joué en permettant, encourageant et protégeant la catastrophe qui se déroule actuellement dans la Palestine occupée de la bande de Gaza.»
En deux phrases et une victoire choc, George Galloway illustre le champ de mines que représente le conflit israélo-palestinien dans la politique britannique, notamment à gauche. Cette élection partielle, qui se déroulait à la suite du décès du député sortant, s’est tenue dans un bastion traditionnellement travailliste mais où vit une forte minorité musulmane. En donnant 40% des voix à George Galloway, et en reléguant les travaillistes à la quatrième place avec 8%, les électeurs ont envoyé un clair avertissement à Keir Starmer, qui a choisi une ligne pro-israélienne proche de celle des Etats-Unis depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre et le début des bombardements israéliens de Gaza.
Soutien de Saddam Hussein
Le nouveau député est aussi controversé que redoutable orateur. Ancien élu travailliste, expulsé au moment de la guerre en Irak, admirateur déclaré de Saddam Hussein, tribun qui surfe sur le vote musulman depuis deux décennies, ancien présentateur sur les télévisions russe RT et iranienne Press TV, il marchait sur du velours à Rochdale, alors que le nombre de morts à Gaza dépasse 30 000 personnes.
Ecossais, appartenant à l’aile gauche du Parti travailliste, il s’est consacré à la cause palestinienne depuis une visite au Liban en 1977. Longtemps, il s’est contenté de bousculer le Parti travailliste de l’intérieur, étant son député à Dundee de 1987 à 2005. Il s’est opposé à la guerre du Golfe en 1991 et s’est rendu auprès du dictateur irakien Saddam Hussein après l’imposition des sanctions internationales, «saluant son courage, sa force et sa persévérance». Passionnément opposé à la guerre en Irak en 2003, il a été suspendu du Parti travailliste.
Depuis, via plusieurs petits partis politiques, il mène campagne dans les circonscriptions fortement musulmanes, où son brio oratoire le mène parfois à la victoire. Il a été élu dans l’est de Londres en 2005 et à Bradford, dans le nord de l’Angleterre, en 2012. A chaque fois, son discours est plus radical. Le Hezbollah?
«Nous avons déclaré Bradford zone sans Israël»
GEORGE GALLOWAY EN 2012, ALORS ÉLU DE BRADFORD
«Ça n’a jamais été une organisation terroriste, mais un mouvement de résistance légitime.» En 2012, il lançait: «Nous avons déclaré Bradford zone sans Israël [«Israel-free zone»]. Nous ne voulons pas de biens israéliens, pas de services israéliens, pas d’universitaires israéliens dans nos universités, pas de touristes israéliens. Nous rejetons cet Etat illégal, barbare et sauvage qui se nomme Israël.»
Certes, la victoire de George Galloway ce vendredi s’est déroulée dans des circonstances exceptionnelles. Le candidat du Parti travailliste à Rochdale, Azhar Ali, a été suspendu au dernier moment. Il avait été enregistré tenant des propos complotistes contre Israël, déclarant «qu’ils avaient délibérément retiré leur sécurité [lors de l’attaque du 7 octobre], ils ont permis […] ce massacre qui leur a donné le feu vert pour faire ce qu’ils voulaient.» Ces propos, révélés par le tabloïd Daily Mail, n’ont été découverts que mi-février, trop tard légalement pour retirer le nom d’Azhar Ali du bulletin de vote. Les électeurs de Rochdale se sont donc retrouvés avec un scrutin où il n’y avait pas de candidat travailliste officiel.
Reste que Keir Starmer semble pris à son propre piège. En prenant la tête du Labour en 2020, il avait promis «une tolérance zéro» envers les accusations d’antisémitisme qui visaient son parti et avaient tant affaibli son prédécesseur, Jeremy Corbyn. Ne tolérant aucune critique trop forte contre Israël, allant jusqu’à expulser Jeremy Corbyn du parti, il se retrouve désarçonné par le bombardement systématique de Gaza. Ces dernières semaines, ses députés se sont profondément divisés sur une motion présentée au parlement pour réclamer un cessezle-feu immédiat.
Des dérapages chez les conservateurs aussi
George Galloway a sauté sur l’occasion. «Il est vrai que chaque musulman est farouchement en colère contre Keir Starmer et le mal nommé Parti travailliste, mais il faudrait être fou pour ne pas se rendre compte que des millions d’autres citoyens dans notre pays le sont également», souligne le nouveau député.
Il promet de présenter une soixantaine de candidats à travers le pays lors des élections législatives attendues à l’automne, via le tout petit Workers Party dont il est le leader. Et tant pis s’il n’a guère de chances de remporter d’autres sièges que celui de Rochdale, manquant de candidats aussi charismatiques que lui. Son objectif est «soit de battre les travaillistes nous-mêmes, soit de causer leur défaite» en leur prenant des voix.
Du côté des conservateurs aussi, les bombardements à Gaza provoquent des dérapages. Le vice-président du parti, Lee Anderson, vient d’être suspendu pour avoir tenu des propos islamophobes. Il avait accusé le maire de Londres, Sadiq Khan, musulman pratiquant, d’avoir laissé les «islamistes […] le contrôler». Si le Royaume-Uni est diplomatiquement peu influent dans le conflit israélo-palestinien, malgré les efforts de son ministre des affaires étrangères David Cameron, sa politique intérieure s’en trouve sérieusement bousculée. ■