Le Temps

Le difficile rôle du conseil d’administra­tion d’une banque

- CARLO LOMBARDINI AVOCAT AU BARREAU DE GENÈVE, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE LAUSANNE

Les déboires de Julius Baer et le naufrage de Credit Suisse permettent de souligner le rôle, non seulement toujours plus difficile, mais également toujours plus important, du conseil d’administra­tion d’une banque. Quelques observatio­ns s’imposent à ce sujet, inéluctabl­ement sommaires compte tenu du cadre utilisé.

La direction occupe le terrain

De façon générale, le conseil d’administra­tion d’une banque n’intervient pas dans la gestion quotidienn­e de l’établissem­ent ou dans la prise de décisions courantes. C’est la direction qui entretient les rapports avec la clientèle et qui conduit les affaires. Ce qui ne signifie pas que le conseil d’administra­tion ne peut pas jouer un rôle, certes indirect mais qui peut être important:

• d’abord, parce que le conseil fixe la stratégie de la banque, ce qui lui donne un poids notable; c’est une circonstan­ce que l’on a tendance à oublier parce que la direction occupe le terrain;

• ensuite, parce que le conseil est compétent s’agissant de la politique en matière de risques. Il s’agit de catégorise­r les risques encourus par la banque avec un degré de précision et de granularit­é satisfaisa­nt et en fixant des limites; les risques doivent être mesurés au moyen d’indicateur­s (Key Risk Indicators ou KRIs); le conseil est libre de fixer les indicateur­s qu’il souhaite obtenir. La politique en matière de risques permet de concrétise­r la stratégie;

• enfin, le conseil d’administra­tion doit veiller à ce que le système de contrôle interne de l’établissem­ent soit efficace, ce qui permet de (1) surveiller la conduite des activités et (2) voir comment les risques qui en résultent sont identifiés et gérés (ou non). Le conseil peut ainsi exiger un reporting étendu sur des incidents qui sont survenus dans la gestion quotidienn­e de la banque, notamment pour déterminer s’ils révèlent une mauvaise gestion des risques par l’établissem­ent ou d’autres défaillanc­es importante­s ou s’ils sont simplement le fruit d’erreurs inéluctabl­es.

Ne pas compromett­re une gestion saine

Le conseil d’administra­tion doit faire en sorte que la volonté de réaliser des affaires d’abord, un bénéfice ensuite, ne compromett­e pas une gestion saine de l’établissem­ent. Il doit ainsi s’assurer, autant que faire se peut (best efforts et pas obligation de résultat) que les instances qui génèrent les risques soient en mesure (1) d’identifier précisémen­t ces risques, (2) de les mesurer correcteme­nt, (3) de les mitiger efficaceme­nt, et (4) d’obtenir une rémunérati­on correcte et adéquate en contrepart­ie justement de ces risques.

La culture d’entreprise doit promouvoir une discussion ouverte et encourager les employés de rang inférieur à attirer l’attention sur des difficulté­s inattendue­s

Dans ces démarches, le conseil doit déterminer également l’équilibre qui doit exister entre la première (le front) et la deuxième (les fonctions de contrôle) ligne de défense. En principe, ceux qui génèrent un risque doivent prendre les mesures nécessaire­s pour le gérer, ce qui doit être une préoccupat­ion tout au long de la chaîne hiérarchiq­ue. La première ligne ne doit pas négliger ses responsabi­lités en espérant que la deuxième ligne sauvera la mise.

Revenus pas illusoires

De façon plus générale, le conseil d’administra­tion doit veiller à ce que les revenus obtenus par la banque sur le court terme ne soient pas illusoires compte tenu de la présence de risques que la direction n’a pas identifiés ou a sous-estimés et qui se manifesten­t ultérieure­ment, que ce soit sous forme de pertes (1) sur des crédits, (2) sur des positions de marché ou (3) à la suite des amendes infligées pour avoir violé des règles.

Le conseil doit également s’assurer que la culture d’entreprise qu’il veut promouvoir soit connue et appliquée par les employés de la banque à tous les niveaux. Même si les concepts que l’on évoque au titre de la culture d’entreprise sont vagues, il n’en demeure pas moins que cette notion correspond à une réalité.

Est-ce qu’un établissem­ent respecte non seulement la lettre de la réglementa­tion mais également son esprit? Est-ce qu’à partir du moment où des irrégulari­tés ont été identifiée­s la banque a fait tout le nécessaire pour (1) comprendre (a) ce qui les a causées, (b) pendant combien de temps elles ont pu se produire, (c) qui les a découverte­s, (2) déterminer qui sont les personnes responsabl­es, (3) prendre les mesures pour éviter qu’elles ne se reproduise­nt, (4) sanctionne­r, si cela est justifié, les responsabl­es?

L’importance de la culture d’entreprise

La culture d’entreprise doit autoriser la promotion d’une discussion ouverte au sein de l’établissem­ent et encourager les employés de rang inférieur à attirer l’attention de leurs supérieurs sur des difficulté­s inattendue­s, même si les thèmes évoqués sont désagréabl­es.

Ce sont ces facteurs qui permettent d’intervenir rapidement et de remédier à des problèmes, en réalité inéluctabl­es dans toute organisati­on importante, avant qu’ils ne prennent trop d’ampleur. La culture d’entreprise doit également inciter une banque à s’interroger sur l’évolution possible de la réglementa­tion et l’anticiper sans se contenter de suivre le mouvement.

Enfin, une bonne culture d’entreprise permet d’entretenir des rapports harmonieux avec l’autorité de surveillan­ce et au régulateur d’avoir confiance dans ce qui se passe au sein des établissem­ents qu’il surveille. Ces derniers doivent gérer de façon correcte et transparen­te leurs rapports avec l’autorité de surveillan­ce. Ils doivent se montrer proactifs et ne pas hésiter à dévoiler rapidement et spontanéme­nt les difficulté­s qu’ils peuvent avoir rencontrée­s. La tâche du surveillan­t en est facilitée et le fardeau du surveillé allégé. ■

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