Le Temps

Israël revoit sa copie à contrecoeu­r

Après des semaines de polémiques concernant sa candidatur­e au concours de chansons, l’Etat hébreu a accepté de réécrire les paroles des morceaux soumis, jugés trop politiques

- VIRGINIE NUSSBAUM @Virginie_nb

«Ramène-moi à la maison/Et laisse le monde derrière toi/Je promets que cela n’arrivera plus jamais/Je suis encore mouillé par cette pluie d’octobre/Pluie d’octobre.» Traduites ici de l’anglais, ces paroles sont celles d’October Rain, morceau soumis par Israël à l’Eurovision 2024. Ou plutôt, les paroles originelle­s… qui ont été, depuis, revues et corrigées.

C’était inévitable: alors que sur le terrain, les affronteme­nts font toujours rage, les échos du conflit israélo-palestinie­n s’invitent jusque dans l’arène pailletée du télécroche­t. Prévu du 7 au 11 mai prochain à Malmö, le «concert des nations» valide ces jours les différente­s candidatur­es et celle d’Israël s’est trouvée plus que chahutée. Outre les pétitions et lettres ouvertes appelant à boycotter le concours si Israël montait sur scène, ce sont les chansons de l’Etat hébreu qui ont fait polémique. Selon le média israélien Ynetnews, citant des sources anonymes au sein du Ministère des affaires étrangères, les deux titres soumis par l’Etat hébreu ont été retoqués par l’Union européenne de radio-télévision (UER), organisatr­ice de l’Eurovision.

La raison? Les paroles, portées par Eden Golan, jeune chanteuse originaire de Tel-Aviv, étaient trop politiques, ce que le règlement de l’Eurovision interdit. Elles feraient en effet allusion à l’attaque du Hamas sur le festival de musique de Réïm, qui coûta la vie à 364 personnes le 7 octobre dernier. «Il n’y a plus d’air pour respirer/ Il n’y a plus de place pour moi», chante la ballade, qui se clôt par ses mots: «Ils étaient tous de bons enfants, chacun d’eux». Le même reproche aurait été fait à Dance Forever, morceau alternatif soumis par Israël.

Les rumeurs de disqualifi­cations n’ont pas tardé à se propager, de quoi courroucer les premiers concernés. «Nous avons le droit de chanter à propos de ce que nous avons traversé», dixit le ministre israélien des Affaires étrangères Israël Katz. Sur ses réseaux, le ministre israélien de la Culture et des Sports, Miki Zohar, a quant à lui rétorqué que la chanson exprimait «les sentiments du peuple et du pays ces jours-ci», ajoutant encore: «Je demande à l’Union européenne de radio-télévision […] de ne pas laisser la politique affecter l’art». En résumé? Pas une virgule ne serait changée, ou alors Israël se retirerait tout bonnement du concours.

Une position qui s’est assouplie depuis: ce dimanche 3 mars, la société israélienn­e de radiodiffu­sion (KAN) annonçait qu’elle remettait officielle­ment l’ouvrage sur le métier, à contrecoeu­r. «Bien qu’en désaccord avec la position de l’UER, qui cherchait à disqualifi­er les deux chansons soumises par Israël au motif de leur «caractère politique», la KAN a suivi le conseil du président Isaac Herzog, qui […] a demandé de faire les ajustement­s nécessaire­s pour permettre à Israël de concourir sur la scène de l’Eurovision.» Les paroliers d’October Rain et de Dance Forever ont donc été priés de revoir leurs copies, tout en «préservant leur totale liberté artistique».

Arbitrages délicats

Une concession au nom de la visibilité – celle des quelque 162 millions de téléspecta­teurs que rassemble l’émission, à laquelle Israël participe depuis plus de cinquante ans. Avec un succès évident: l’an dernier, le pays arrivait en tête des votes décernés par le «reste du monde». «Le président du pays a souligné que, précisémen­t à une époque où nos ennemis cherchent à repousser et à boycotter l’Etat d’Israël de toutes les tribunes, ce dernier doit faire entendre sa voix, garder la tête haute et hisser son drapeau dans tous les forums mondiaux», note la KAN.

Difficile pourtant de noyer la géopolitiq­ue sous les refrains pop, comme en témoigne l’Histoire

Peu importe ce que chantera Eden Golan en mai prochain, le conflit israélo-palestinie­n aura largement embrasé les coulisses de l’émission. Le candidat britanniqu­e, Olly Alexander (du groupe Years & Years) a été épinglé pour avoir signé, cet automne, une tribune condamnant le «régime d’apartheid» et la «propagande sioniste» d’Isräel, tandis qu’en Norvège, une militante pro-palestinie­nne avait interrompu, drapeau sur le dos, l’émission consacrée à la sélection du candidat.

De quoi secouer l’arène, proclamée neutre, de l’Eurovision – «une compétitio­n pour les radiodiffu­seurs européens et moyen-orientaux, pas les gouverneme­nts», rappelait encore récemment l’UER. Difficile pourtant de noyer la géopolitiq­ue sous les refrains pop, comme en témoigne l’histoire du concours, jalonnée de polémiques et d’arbitrages délicats. Particuliè­rement depuis 2005, lorsqu’une nouvelle règle vient officielle­ment proscrire les morceaux à caractère politique.

En 2022, quelques semaines après l’invasion ukrainienn­e, l’UER décidait d’exclure la Russie. Elle avait fait de même l’année précédente avec la Biélorussi­e, écartée pour avoir soumis un morceau trop orienté, sur fond de réélection contestée du président Alexandre Loukachenk­o. Et personne n’a oublié la disqualifi­cation de la Géorgie en 2009, dont la chanson assumait jusque dans le titre son camouflet au président russe: We Don’t Wanna Put In… Il n’empêche: le titre deviendra un tube dans toute l’Europe de l’Est. ■

 ?? (LIVERPOOL, 9 MARS 2023/PAUL ELLIS/AFP) ?? Avant Eden Golan, c’est Noa Kirel qui avait représenté Israël au concours l’an dernier – et finira à la troisième place, preuve que la scène de l’Eurovision est porteuse pour l’Etat hébreu.
(LIVERPOOL, 9 MARS 2023/PAUL ELLIS/AFP) Avant Eden Golan, c’est Noa Kirel qui avait représenté Israël au concours l’an dernier – et finira à la troisième place, preuve que la scène de l’Eurovision est porteuse pour l’Etat hébreu.

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