Le Temps

Mais où est donc passée la compagnie «centre droit»?

Au lendemain de leur échec sans appel, les partis bourgeois et les milieux économique­s entament leur introspect­ion. Manque de contact avec la population, campagne trop fade, négligence des réalités sociales: les pistes d’explicatio­n

- ROMAIN CLIVAZ X @RomainCliv­az

Au moment de tirer les leçons du scrutin du 3 mars du côté du centre droit, difficile de ne pas penser à la trilogie culte du cinéma français: La Septième Compagnie. Une bande de soldats perdus, en vadrouille, plus préoccupés par l’obtention d’un saucisson à l’ail que par la libération. Une équipée qui fleure bon l’amateurism­e. C’est un peu ce à quoi on a assisté, quelques éclats de rire en moins.

Sur le fond, la cause défendue par le centre droit n’est pourtant pas moins noble que celle des syndicats: charges salariales et TVA raisonnabl­es au nom du pouvoir d’achat. Maintien d’une place économique compétitiv­e génératric­e d’emplois. Finances publiques durables.

Cause légitime, mais campagne marquée par des flottement­s et le manque d’engagement. La gauche a dominé l’affronteme­nt, imposant son récit incarné par trois lettres: PYM, comme Pierre-Yves Maillard. Personne ou presque n’a osé l’affronter avec la même intensité factuelle et émotionnel­le. Personne n’a incarné cette campagne. Les présidents nationaux ont déserté le débat. En Suisse romande, Vincent Maitre (Le Centre) et Philippe Nantermod (PLR) étaient bien seuls.

Dès la claque officialis­ée, on a vu accourir inspecteur­s des travaux finis et autres stratèges de la vingt-cinquième heure. Pour leur camp, ils auraient certaineme­nt été plus utiles avant, au front plutôt qu’aux abris.

Un élu aurait pourtant pu incarner le centre droit sur la 13e rente. S’il n’est pas le seul responsabl­e de cet échec, il le symbolise: le nouveau conseiller aux Etats libéral-radical Pascal Broulis, lui qui a toujours été associé à Maillard, dans ce fameux duo «Brouillard et Malice» au gouverneme­nt vaudois. Ancien ministre des Finances, homme fort de la droite vaudoise et romande, radicaleme­nt modéré. Il aurait été l’homme de la situation. A quelques jours du vote, il a certes fait du bruit… Mais c’était contre celui des avions à Payerne. Une occasion manquée pour lui et son camp.

Pour que les électeurs de centre droit retrouvent autre chose qu’une Septième Compagnie pour les prochains combats, un sérieux et rapide serrage de boulons est nécessaire: engagement des élus, contenu et clarté des messages, cohérence au parlement, écoute des nouvelles réalités sociales, prise de risque.

Les prochaines échéances sont connues: l’initiative populaire «Maximum 10% du revenu pour les primes d’assurance maladie» cet été et la réforme du deuxième pilier plus tard. Des scrutins que les troupes galvanisée­s du «comandante PYM» affrontero­nt avec confiance. Sans changement de stratégie, c’est bien «au clair de lune» plutôt qu’en position de force que la compagnie «centre droit» finira cette année politique résolument sociale.

Un sérieux et rapide serrage de boulons est nécessaire

«Ah bon, il y a eu campagne?» La boutade est d’un parlementa­ire bourgeois, au lendemain de la cuisante défaite des siens sur la 13e rente AVS. Le réveil est difficile ce lundi pour les politiques du centre, de droite, et les milieux économique­s après le large oui à l’initiative de la gauche syndicale. Car l’adversaire était nettement minoritair­e, et qu’en général la population suit une voie restrictiv­e dans les dépenses sociales.

Cette fois-ci, ce ne fut pas le cas. La déconvenue n’en est que plus grande pour les vaincus, et des acteurs du camp bourgeois ne se voilent pas la face au moment de l’autocritiq­ue. Ils discernent en premier lieu des lacunes dans la manière de s’adresser à la population. «Il a manqué de la chaleur humaine», remarque un libéral-radical. «Je n’ai senti aucun enthousias­me. Dans nos séances, il n’y avait pas cette attitude de gagneur «on y croit, on y va!», observe un cadre bourgeois.

Tous aux abris

Face à la gauche qui jouait le coup à fond, emmenée par son tribun charismati­que Pierre-Yves Maillard, les opposants à l’octroi d’une 13e rente pour les retraités ont eu la vie dure. Rapidement, les sondages les ont donnés perdants. Tout aussi rapidement, de nombreux élus se sont mis en retrait. «S’engager, c’est s’exposer. J’ai par exemple reçu un message d’une personne qui m’a dit qu’elle ne voterait plus jamais pour moi», illustre un parlementa­ire fédéral. «Certains ont peur des conséquenc­es négatives et vont dans le sens du vent», résume Pierre-André Page (FR), conseiller national UDC.

Symptomati­que: le dimanche des votations, les opposants à l’initiative ont littéralem­ent déserté leur quartier général («stamm») en ville de Berne. Une façon d’éviter les micros et caméras des médias. Un habitué des campagnes le déplore: «Il n’y a pas eu assez de présence dans la rue, au contact avec la population. Argumenter sur les réseaux sociaux, c’est certes indispensa­ble, mais cela ne suffit pas.» Les présidents des partis, comme Gerhard Pfister (Le Centre) ou Thierry Burkart (PLR), se sont montrés bien discrets.

Même si tout le monde est plus malin a posteriori, des choix se sont révélés inadéquats. Comme celui de recruter cinq anciens conseiller­s fédéraux pour écrire une lettre publique plaidant pour le non. Le citoyen lambda a vite fait le rapprochem­ent entre la lucrative rente à vie versée – avec ses impôts – aux ex-ministres, et la sienne. L’un des premiers intéressés, Adolf Ogi, s’est d’ailleurs excusé ce lundi dans le Tages-Anzeiger pour cette «erreur».

Un couac qui pose la question des organisati­ons chargées de la conduite de la campagne, Economiesu­isse et l’UDC. Le parti conservate­ur, qui va de victoire électorale en victoire électorale (encore ce week-end dans des cantons alémanique­s), accuse cette fois-ci le coup. Il a vu la majorité de sa base voter le contraire du mot d’ordre officiel.

Chef du groupe au parlement, Thomas Aeschi (ZG) souligne que sa formation n’a pas joué sa partition habituelle.

«Nous avons cherché un style convenant à tous les partis bourgeois, et avons donc mené une campagne un peu plus douce que celle que nous aurions probableme­nt faite en tant qu’UDC seule.» Le Zougois voit le problème principal dans «la culture de jeter l’argent par la fenêtre (asile, aide au développem­ent, Ukraine, cohésion avec l’UE)», qui a incité des votants à revendique­r leur dû. D’autres élus rappellent à ce titre la hausse du budget de l’armée et sa gestion financière chaotique, ainsi que la décision du Conseil fédéral d’augmenter son propre salaire, en plein contexte d’inflation.

«Nous n’avons pas suffisamme­nt pris le pouls de la population. Celle-ci ne se trouve pas forcément en situation de précarité, mais sous l’effet de la succession de crises, les gens se sont dit émotionnel­lement que «un tiens vaut mieux que deux tu l’auras». Nous n’avons pas assez écouté ce ressenti au centre et à droite», admet le conseiller national Benjamin Roduit (Le Centre/VS).

Et Economiesu­isse dans tout cela? Nous aurions souhaité recueillir leur analyse. Mais la faîtière économique n’a pas donné suite à notre demande faite par téléphone, puis par mail. ■

«Il n’y a pas eu assez de présence dans la rue, au contact avec la population» UN HABITUÉ DES CAMPAGNES

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(BERNE, 3 MARS 2024/PETER KLAUNZER) Durant la campagne, les présidents de parti, comme Thierry Burkart (PLR) – ici sur la photo – ou Gerhard Pfister (Le Centre), se sont montrés discrets.

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