Le Temps

Malgré la tourmente, Olaf Scholz demeure inflexible vis-à-vis de Kiev

Un scandale d’écoutes russes sur l’armée allemande place le chancelier allemand en porte-à-faux vis-à-vis de l’Ukraine. Il maintient néanmoins son opposition à l’envoi de missiles longue portée

- DELPHINE NERBOLLIER, BERLIN

Le scandale n’a pas fait bouger Olaf Scholz d’un iota, au contraire. Lundi, alors que l’armée allemande est sous le coup d’une affaire d’espionnage russe, le chancelier a de nouveau confirmé son refus de livrer des missiles de longue portée de type Taurus à l’Ukraine. «Je suis le chancelier et c’est donc comme cela», a-t-il déclaré devant une classe d’un lycée du sud-ouest du pays.

Avec cette déclaratio­n, Olaf Scholz rappelle qu’il a le dernier mot sur ce sujet sensible au coeur d’une nouvelle affaire. Le 1er mars, le média RT, proche du Kremlin, a publié l’enregistre­ment d’une conversati­on de trente-huit minutes entre des haut gradés de l’armée allemande. Lors de cette réunion tenue le 19 février via Webex, un système non sécurisé, on entend l’inspecteur de l’armée de l’air Ingo Gerhartz détailler les avantages et les inconvénie­nts d’un éventuel usage du missile de longue portée Taurus, de fabricatio­n germano-suédoise, dans la guerre entre l’Ukraine et la Russie. Les officiers se penchent sur la question, très polémique, de savoir si la programmat­ion de ces missiles nécessiter­ait la présence de soldats allemands. Non, répondent ces officiers, rappelant que les soldats ukrainiens peuvent être formés et que d’ici là, des officiers britanniqu­es déjà sur place peuvent les soutenir.

«Trop d’affinités avec la Russie»

Ces arguments mettent le chancelier Olaf Scholz dans une posture difficile vis-à-vis de Kiev. La semaine dernière, il avait justifié son refus de livrer de telles armes par le fait qu’il s’opposait à l’envoi de soldats allemands en Ukraine. L’enregistre­ment prouvant que la présence de ces militaires n’est pas indispensa­ble, sa rhétorique est battue en brèche, certains médias allemands concluant qu’Olaf Scholz «ne fait pas confiance aux Ukrainiens» et ne veut pas leur donner le contrôle d’une arme capable d’atteindre le sol russe.

«Il est bon de voir que nous vivons en démocratie, où la décision des politicien­s prime celle des militaires. De l’autre, cette affaire va accroître les doutes de certains partenaire­s de l’Allemagne qui pensent qu’elle entretient encore trop d’affinités avec la Russie», constate Sebastian Bruns, de l’Institut pour la politique de sécurité de Kiel (ISPK).

La diffusion de cet échange augmente la pression sur Olaf Scholz face aux Français et aux Britanniqu­es. La semaine dernière, ces derniers s’étaient offusqués de la divulgatio­n par le chancelier de la présence de soldats français et britanniqu­es en Ukraine, chargés d’encadrer Kiev dans l’usage des missiles longue portée Scalp et Storm Shadow. Un argument que Moscou s’est empressé d’instrument­aliser. Ce lundi, le Kremlin a dénoncé «l’implicatio­n directe» de l’Occident en Ukraine après avoir déclaré ce week-end voir la preuve qu’Olaf Scholz y envisage bel et bien une interventi­on, contrairem­ent à ses déclaratio­ns.

Comme un «calendrier de l’Avent»

Plus largement, cette affaire d’espionnage pointe les faiblesses des systèmes de communicat­ion de l’armée allemande. «Sur le fond, ces écoutes ne révèlent aucune informatio­n qui ne soit déjà connue, mais elles reflètent un amateurism­e de la part de la Bundeswehr. Même si le problème ne semble pas structurel, cette affaire pourrait ne pas être un cas unique», affirme Sebastian Bruns.

Certains dans la classe politique, notamment à droite, redoutent d’autres fuites, plus graves encore. «L’appareil de sécurité allemand semble avoir plus de portes ouvertes qu’un calendrier de l’Avent à la veille de Noël» notait ce lundi, cinglant, le média régional Rheinpfalz, de Ludwigshaf­en. «Des alliés comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne partageron­t encore moins d’informatio­ns importante­s sur les services secrets avec l’Allemagne», craint ce quotidien.

Si l’Allemagne tentait lundi de rassurer ses partenaire­s avec qui elle se trouve «en contact très étroit», le ministre de la Défense Boris Pistorius a qualifié cette affaire de «nouvel acte de désinforma­tion», ayant pour but de «diviser» le pays. La menace n’est pas nouvelle. En 2015 déjà, le site internet du Bundestag avait été hacké par des services proches du Kremlin. L’an dernier, un agent des services de renseignem­ents fédéraux (BND) a été inculpé pour avoir transmis des renseignem­ents à Moscou.

«L’Allemagne est un champ de bataille et une cible privilégié­e» pour Moscou, qui «sait que la société allemande est plus facile à influencer que les opinions publiques françaises ou britanniqu­es: davantage de gens y doutent du rôle de l’OTAN et sont sensibles à la propagande russe», relève Sebastian Bruns. L’Allemagne a certes fait des progrès pour s’en défendre, mais elle a la «mémoire courte», dit-il: «Nous sommes aussi dans une guerre de l’informatio­n. Nous semblons l’oublier un peu trop souvent».

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