Après l’attaque antisémite, la sécurité en question
La Suisse alémanique est sous le choc: samedi soir, un adolescent de 15 ans a poignardé un juif orthodoxe en plein centre-ville. Après de vives réactions, les regards se tournent vers les moyens alloués à la protection des minorités
XLe dispositif sécuritaire a été relevé d’un cran près des lieux de la communauté juive à Zurich. Les autorités ont dénoncé un acte antisémite après l’agression à l’arme blanche d’un juif orthodoxe. La victime se trouve désormais hors de danger. Le suspect, placé en garde à vue, est un Suisse de 15 ans. D’origine tunisienne, il a été naturalisé en 2015, ont indiqué les autorités zurichoises. L’existence d’une vidéo de revendication, dans laquelle l’adolescent fait allégeance à l’Etat islamique et appelle «au combat mondial contre les juifs», a été confirmée hier par Mario Fehr, conseiller d’Etat zurichois chargé de la police. L’enquête doit déterminer si l’agresseur a agi seul ou en lien avec un groupe.
Le conseiller d’Etat a dénoncé un «attentat lâche» et un «acte terroriste» devant la presse.«Quelqu’un a été poignardé uniquement en raison de son appartenance religieuse», a-t-il dénoncé. Le conseiller d’Etat a promis de tout faire «pour que nos concitoyens juifs se sentent à nouveau en sécurité.» De son côté, la présidente de la Confédération Viola Amherd a fait part de son choc sur son compte X (ex-Twitter). Il n’y a «pas de place pour l’antisémitisme en Suisse», a-t-elle commenté, exprimant sa sympathie pour l’homme blessé et ses concitoyens juifs.
«Le traumatisme est profond»
Raphaël Lévy, responsable de la sécurité au sein de la Communauté israélite de Lausanne et du canton de Vaud, s’inquiète de l’impact durable d’une telle agression sur la communauté juive: «Un lecteur lambda passera à autre chose après avoir lu le compte rendu de l’attaque, mais pour les Juifs, le traumatisme est profond.» Il espère que les autorités prendront la mesure des besoins sécuritaires, et de leurs coûts. «Pendant plus de trente ans, la communauté juive a autofinancé les moyens servant à assurer sa propre sécurité», regrette-t-il.
Une aide de Fedpol est possible depuis 2020, et a été revue à la hausse en 2022. La police fédérale soutient les organisations qui requièrent une protection particulière. Pour l’année 2024, elle a versé environ 4,7 millions de francs à 34 organisations, 32 juives et 2 musulmanes. Des moyens alloués à protéger les minorités en cas d’attaque terroriste ou d’attaque extrémiste violente.
«Pendant plus de trente ans, la communauté juive a autofinancé les moyens servant à assurer sa propre sécurité» RAPHAËL LÉVY, RESPONSABLE DE LA SÉCURITÉ AU SEIN DE LA COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE VAUDOISE
L’un des montants les plus importants a été attribué à la Communauté israélite de Genève: 646 000 francs. Par prudence, l’organisation refuse de donner des détails, indiquant seulement que ces ressources permettent de financer des «moyens physiques et humains». Des écoles ont aussi perçu un soutien pour renforcer leur sécurité: plus de 140 000 francs ont été attribués à l’établissement Beit Yossef Girsa à Genève, ou encore 72 300 francs à l’association Gan Chlomo, qui gère l’école juive de Lausanne. La demande de la communauté juive et israélite de Lausanne et du canton de Vaud a également abouti et s’élève à 141 060 francs.
Ces fonds financent l’engagement du personnel de sécurité, des mesures architectoniques, comme le renforcement du vitrage, la mise en place d’un système d’alarme, ou encore la construction d’un espace de confinement en cas de tireur fou. «Les associations sont déficitaires, chaque membre paie donc pour sa propre sécurité, relève Raphaël Lévy, alors que la sécurité est une tâche régalienne.»
Des cantons romands pourraient prochainement également mettre la main au porte-monnaie. «Des discussions sont en cours avec le canton de Vaud, car Fedpol ne peut pas financer plus de 50% des besoins financiers d’une organisation», précise Raphaël Lévy. A Genève, une nouvelle loi votée par le Grand Conseil en novembre complétera le soutien fédéral. Le canton tient désormais des bases légales pour octroyer des aides financières aux organisations qui mettent en place des mesures relatives à la protection de certaines minorités contre du terrorisme ou de l’extrême violence. Pour l’heure, une seule demande est en cours de traitement, indique l’Etat.
Vers une stratégie nationale?
L’agression antisémite devrait avoir également des effets sous la Coupole, où le Conseil national traitera ce jeudi d’une motion de la Commission des institutions politiques exigeant un plan d’action contre le racisme et l’antisémitisme.
«Il faut une prise de conscience, défend le PLR Damien Cottier, rapporteur du texte aux côtés de Samira Marti, élue socialiste. Nous assistons clairement à une montée de l’antisémitisme en Europe, et ce drame vient nous le rappeler. Chaque canton agit de son côté, mais nous n’avons pas de vision d’ensemble dans la lutte contre l’antisémitisme.» Si elle est acceptée, cette motion pourrait déboucher sur une stratégie nationale et, peut-être, sur de nouveaux moyens alloués à la prévention.