La mondialisation en boîte
«Sans le conteneur, il n’y aurait pas de mondialisation». Cette affirmation de The Economist m’a d’abord paru étrange. Est-ce vraiment possible que notre vaste système d’échanges mondialisés s’explique par ces grosses boîtes métalliques peu élégantes que sont les conteneurs? Aussi déraisonnable que cela paraisse, il s’agit pourtant bien de la vérité.
Au début des années 1950, Malcom McLean est un entrepreneur à succès aux Etats-Unis. Il est à la tête d’une florissante compagnie de transport routier de marchandises. Pour rester concurrentiel, il n’a qu’une obsession: ses marges. Il doit être plus compétitif que ses adversaires. En 1953, il s’impatiente. Le nombre d’embouteillages sur les autoroutes ne fait que s’aggraver. Lui vient alors une idée qui paraît aujourd’hui banale, mais qui était révolutionnaire. Au lieu d’emprunter des autoroutes encombrées le long de la côte, il envisage de charger ses semi-remorques directement sur des bateaux, qui avanceront plus vite d’un point A à un point B le long de la côte. A cette époque, les compagnies maritimes et routières ne collaborent que de façon marginale. En intégrant les deux modes de transport dans son modèle d’affaire, il enclenche, sans s’en douter, ce qui va devenir une révolution mondiale.
Le transport maritime est alors réputé lent et peu fiable. Toute la marchandise qui devait in fine être transportée par voie maritime était acheminée dans les ports où elle était d’abord déchargée, placée pièce par pièce sur des palettes, puis finalement chargée sur le navire et arrimée. En plus de favoriser le vol, ces procédures étaient chronophages et coûteuses car intenses en personnel. Le conteneur s’attaque à ces deux problèmes.
Il réduit drastiquement le temps nécessaire au chargement et au déchargement, vu qu’il suffira désormais de déplacer simplement le conteneur sans manipuler le contenu, et fait baisser le nombre de larcins, ce qui permet à la marchandise d’arriver à bon port.
La révolution avance pas à pas. Dans The Box, Marc Levinson raconte un épisode qui vient l’accélérer. En 1965, empêtrés dans la guerre du Vietnam, les EtatsUnis peinent à ravitailler leurs troupes. Leur logistique est un chaos. Les marchandises qui arrivent par voie maritime sont en retard et ne correspondent bien souvent plus aux besoins des soldats. S’ajoutent à cela de nombreux vols lors du déchargement. Résultat, les soldats se retrouvent avec des stocks d’objets religieux inutiles, mais trop peu de vivres et de fournitures de première nécessité. McLean sent que son heure de gloire a sonné. Il passe l’hiver 1966 à tenter de convaincre le Pentagone que les conteneurs peuvent remédier à ces problèmes de logistique et permettre à la marchandise d’arriver rapidement, et sans vols, à destination. McLean obtient gain de cause, la révolution du conteneur est définitivement en marche. La «conteneurisation» permettra un effondrement des coûts du transport. Ce qui rapprochera les pays. Couplé à une réduction des temps de livraison, cela donnera lieu à une augmentation de l’offre de biens disponibles et donc une amélioration de la vie des consommateurs.
Fait étonnant, malgré son absence d’accès à la mer, la Suisse monopolise la première place de l’indice de la mondialisation du KOF. Avec un score global de 91 sur 100, elle se rapproche d’une mondialisation «totale». Derrière ces notions théoriques se cachent des réalités bien concrètes. Selon une étude de la Bertelsmann Stiftung, ce vaste échange de conteneurs nous est utile de façon directe dans la vie quotidienne: sur les trente dernières années, en moyenne, le citoyen Suisse a vu son revenu augmenter, en parité de pouvoir d’achat, d’environ 1720 francs par an, grâce à la mondialisation. Pas mal pour de simples boîtes en métal!
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Ce vaste échange de conteneurs nous est utile de façon directe dans la vie quotidienne