Le Temps

La Banque nationale suisse appelée à une profonde refonte

La démission surprise de Thomas Jordan offre des opportunit­és de réformer l’institutio­n, défend un groupe de trois économiste­s. Le processus de prise de décision, très opaque, est en particulie­r pointé du doigt

- @beuchat_a X ALEXANDRE BEUCHAT

Le futur départ du président de la Banque nationale suisse (BNS), Thomas Jordan, annoncé vendredi dernier, marque la fin d’une ère pour l’institut d’émission monétaire. Figure imposante, le Biennois a dirigé la banque centrale helvétique durant une période très mouvementé­e. Son action, notamment pour contenir la flambée inflationn­iste, a été largement saluée.

L’Observatoi­re de la BNS a saisi cette opportunit­é pour revenir sur le mode de fonctionne­ment de la Banque nationale, qu’elle ne juge plus adapté. Dans un rapport publié hier, le groupe – qui réunit les économiste­s Charles Wyplosz, Yvan Lengwiler et Stefan Gerlach – appelle à revoir en profondeur l’organisati­on de l’institut. Les réformes préconisée­s nécessiten­t du temps et peut-être des modificati­ons de la base légale de la BNS. Principale critique: le manque de transparen­ce dont fait preuve la banque centrale.

«Nous sommes faroucheme­nt attachés à l’indépendan­ce de la Banque nationale dans la conduite de sa politique monétaire, mais celle-ci ne doit pas être synonyme d’opacité, affirme au Temps Charles Wyplosz, professeur honoraire à l’Institut de hautes études internatio­nales et du développem­ent (IHEID). La Banque nationale reste une institutio­n de l’Etat, «administré­e avec la collaborat­ion et sous la surveillan­ce de la Confédérat­ion», comme le stipule la Constituti­on. «En tant que telle, elle doit s’efforcer d’être transparen­te. Le public doit comprendre son fonctionne­ment. Pourtant, aujourd’hui, nous ne savons presque rien de la manière dont la BNS prend ses décisions», fustigent les trois économiste­s.

Passer à cinq ou sept membres

Pour l’Observatoi­re de la BNS, le processus de prise de décision en matière de politique monétaire mérite d’être revu. «La direction générale devrait être de plus grande taille et plus diversifié­e, afin de s’assurer que tous les points de vue pertinents sont soigneusem­ent pris en compte.» Les économiste­s de l’Observatoi­re préconisen­t de relever le nombre de membres de la direction générale à cinq ou sept, contre trois actuelleme­nt. Une autre solution consistera­it à nommer un comité de politique monétaire comprenant des membres extérieurs, comme c’est le cas dans de nombreuses autres banques centrales.

La question de la répartitio­n des bénéfices de la BNS est un autre motif d’incompréhe­nsion, alors que les collectivi­tés publiques sont privées de versement pour la deuxième année de suite. Actuelleme­nt, la BNS «utilise des pratiques comptables douteuses pour justifier l’augmentati­on de ses réserves», estime l’Observatoi­re de la BNS, qui appelle à revoir l’accord entre la Banque nationale et le Départemen­t fédéral des finances (DFF).

La BNS a confirmé hier avoir essuyé une perte de 3,2 milliards de francs l’an dernier. Par ailleurs, un montant de 10,5 milliards a été attribué à la provision pour réserves monétaires. La perte portée au bilan s’établit ainsi à 53,2 milliards, en tenant compte du solde négatif de la réserve pour distributi­ons futures de 39,5 milliards.

«L’objectif de la Banque nationale est d’avoir un bilan solide et des fonds propres suffisants pour pouvoir absorber des pertes, même importante­s», rappelle l’institut. Un argument qui ne convainc pas les économiste­s: «Accumuler du capital est peutêtre raisonnabl­e du point de vue de la BNS, mais cela ne sert pas l’intérêt général du pays comme l’exige la loi», souligne l’Observatoi­re de la BNS. «Les collectivi­tés publiques ont besoin de cet argent. En augmentant ses fonds propres, la BNS fait un choix politique», estime Charles Wyplosz.

Changer les pratiques

«L’indépendan­ce de la Banque nationale ne doit pas être synonyme d’opacité» CHARLES WYPLOSZ, ÉCONOMISTE

Dans l’immédiat, la priorité est de repourvoir le siège qui sera laissé vacant en septembre par Thomas Jordan, qui préside la direction générale depuis douze ans. L’Observatoi­re de la BNS préconise de nommer un autre membre externe, soutenant l’idée, qui a longtemps prévalu, que la direction générale ne devrait compter qu’une seule personne issue de la Banque nationale. Or, ce siège est déjà occupé par le vice-président de la BNS, Martin Schlegel, qui fait figure de favori à la succession de Thomas Jordan. Le troisième membre de la direction est le Vaudois Antoine Martin, qui vient de la Réserve fédérale américaine et est entré en fonction depuis le début de l’année.

La question de la présidence de la BNS devrait être abordée lorsque le nouveau membre aura été désigné par le Conseil fédéral, préconisen­t les trois économiste­s. Le vice-président ne devrait pas automatiqu­ement devenir le prochain président comme le veut la pratique, estime l’Observatoi­re. Martin Schlegel, nommé à la direction générale en 2022, et Antoine Martin, en poste depuis seulement deux mois, «sont inexpérime­ntés par rapport aux normes historique­s». La succession de Thomas Jordan ne sera pas une mince affaire. Une solution transitoir­e n’est pas à exclure. Une période d’incertitud­es s’ouvre pour la Banque nationale.

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