La Banque nationale suisse appelée à une profonde refonte
La démission surprise de Thomas Jordan offre des opportunités de réformer l’institution, défend un groupe de trois économistes. Le processus de prise de décision, très opaque, est en particulier pointé du doigt
Le futur départ du président de la Banque nationale suisse (BNS), Thomas Jordan, annoncé vendredi dernier, marque la fin d’une ère pour l’institut d’émission monétaire. Figure imposante, le Biennois a dirigé la banque centrale helvétique durant une période très mouvementée. Son action, notamment pour contenir la flambée inflationniste, a été largement saluée.
L’Observatoire de la BNS a saisi cette opportunité pour revenir sur le mode de fonctionnement de la Banque nationale, qu’elle ne juge plus adapté. Dans un rapport publié hier, le groupe – qui réunit les économistes Charles Wyplosz, Yvan Lengwiler et Stefan Gerlach – appelle à revoir en profondeur l’organisation de l’institut. Les réformes préconisées nécessitent du temps et peut-être des modifications de la base légale de la BNS. Principale critique: le manque de transparence dont fait preuve la banque centrale.
«Nous sommes farouchement attachés à l’indépendance de la Banque nationale dans la conduite de sa politique monétaire, mais celle-ci ne doit pas être synonyme d’opacité, affirme au Temps Charles Wyplosz, professeur honoraire à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID). La Banque nationale reste une institution de l’Etat, «administrée avec la collaboration et sous la surveillance de la Confédération», comme le stipule la Constitution. «En tant que telle, elle doit s’efforcer d’être transparente. Le public doit comprendre son fonctionnement. Pourtant, aujourd’hui, nous ne savons presque rien de la manière dont la BNS prend ses décisions», fustigent les trois économistes.
Passer à cinq ou sept membres
Pour l’Observatoire de la BNS, le processus de prise de décision en matière de politique monétaire mérite d’être revu. «La direction générale devrait être de plus grande taille et plus diversifiée, afin de s’assurer que tous les points de vue pertinents sont soigneusement pris en compte.» Les économistes de l’Observatoire préconisent de relever le nombre de membres de la direction générale à cinq ou sept, contre trois actuellement. Une autre solution consisterait à nommer un comité de politique monétaire comprenant des membres extérieurs, comme c’est le cas dans de nombreuses autres banques centrales.
La question de la répartition des bénéfices de la BNS est un autre motif d’incompréhension, alors que les collectivités publiques sont privées de versement pour la deuxième année de suite. Actuellement, la BNS «utilise des pratiques comptables douteuses pour justifier l’augmentation de ses réserves», estime l’Observatoire de la BNS, qui appelle à revoir l’accord entre la Banque nationale et le Département fédéral des finances (DFF).
La BNS a confirmé hier avoir essuyé une perte de 3,2 milliards de francs l’an dernier. Par ailleurs, un montant de 10,5 milliards a été attribué à la provision pour réserves monétaires. La perte portée au bilan s’établit ainsi à 53,2 milliards, en tenant compte du solde négatif de la réserve pour distributions futures de 39,5 milliards.
«L’objectif de la Banque nationale est d’avoir un bilan solide et des fonds propres suffisants pour pouvoir absorber des pertes, même importantes», rappelle l’institut. Un argument qui ne convainc pas les économistes: «Accumuler du capital est peutêtre raisonnable du point de vue de la BNS, mais cela ne sert pas l’intérêt général du pays comme l’exige la loi», souligne l’Observatoire de la BNS. «Les collectivités publiques ont besoin de cet argent. En augmentant ses fonds propres, la BNS fait un choix politique», estime Charles Wyplosz.
Changer les pratiques
«L’indépendance de la Banque nationale ne doit pas être synonyme d’opacité» CHARLES WYPLOSZ, ÉCONOMISTE
Dans l’immédiat, la priorité est de repourvoir le siège qui sera laissé vacant en septembre par Thomas Jordan, qui préside la direction générale depuis douze ans. L’Observatoire de la BNS préconise de nommer un autre membre externe, soutenant l’idée, qui a longtemps prévalu, que la direction générale ne devrait compter qu’une seule personne issue de la Banque nationale. Or, ce siège est déjà occupé par le vice-président de la BNS, Martin Schlegel, qui fait figure de favori à la succession de Thomas Jordan. Le troisième membre de la direction est le Vaudois Antoine Martin, qui vient de la Réserve fédérale américaine et est entré en fonction depuis le début de l’année.
La question de la présidence de la BNS devrait être abordée lorsque le nouveau membre aura été désigné par le Conseil fédéral, préconisent les trois économistes. Le vice-président ne devrait pas automatiquement devenir le prochain président comme le veut la pratique, estime l’Observatoire. Martin Schlegel, nommé à la direction générale en 2022, et Antoine Martin, en poste depuis seulement deux mois, «sont inexpérimentés par rapport aux normes historiques». La succession de Thomas Jordan ne sera pas une mince affaire. Une solution transitoire n’est pas à exclure. Une période d’incertitudes s’ouvre pour la Banque nationale.
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