La virilité racontée par des jeunes explosifs
Ce soir à Nebia, dans «La Tendresse», de jeunes danseurs ultra-attachants évoquent les injonctions masculines et leurs doutes. Le public est fasciné. Idéal pour les 15-35 ans
«Ma première fois? J’arrivais pas à trouver l’entrée!» Direct, Djamil provoque l’hilarité du public, au Forum Meyrin, jeudi dernier. «Je sens que la violence est en moi. A tout moment, je pourrais vriller», flippe, de son côté, Tigran, avant de constater, prosaïque: «En sortant avec des infirmières, tu peux porter tes couilles tranquille: elles bossent beaucoup et elles gagnent que dalle. Tu peux être fier d’elles, mais elles te feront jamais d’ombre.» «Moi, avec mon père, on a toujours été en guerre… c’était à l’iranienne… Mais je lui en veux plus et ça m’a endurcie de ouf», confie plus loin Charmine, l’unique voix féminine de la distribution.
Perpétuelle effervescence
On le voit, La Tendresse, de Julie Berès, ose le langage direct, la confession sans fard. Dans ce spectacle créé en 2022 et qui tourne depuis, vu son succès, sept jeunes hommes et une jeune femme issus des milieux populaires pour la plupart donnent leurs points de vue sur les figures imposées de la virilité. Il y est question de sexe, bien sûr, mais aussi d’amour, de paternité, de violence, d’homosexualité, d’addiction au porno… ou encore de délicatesse, «à laquelle on aspire tous, mais qu’aucun d’entre nous ne peut assumer», dit, en substance, la bande en perpétuelle effervescence.
Si ce spectacle, à voir ce mardi soir à Nebia, à Bienne, suscite autant d’enthousiasme, c’est aussi grâce à la forte présence des corps. A l’image de Bboy Junior dont la maîtrise du breakdance subjugue, La Tendresse est une tempête physique, énergique, qui emporte le public. Ça se pousse, ça se gifle, ça se charrie, ça montre ses «pecs», ça se provoque, ça se confronte: être un homme en 2024, c’est encore, souvent, faire le caïd pour épater la galerie.
Ils s’appellent Junior, Natan, Charmine, Alexandre, Tigran, Djamil, Romain et Moha, et ils ont tous un truc extra. Au fil du spectacle, on se demande s’ils partent et parlent d’eux-mêmes ou s’ils interprètent des textes écrits pour elle et eux par Julie Berès, Kevin Keiss et Alice Zeniter, percutantes plumes contemporaines. La réponse se situe au milieu.
Etre un homme en 2024, c’est encore, souvent, faire le caïd pour épater la galerie
Les féministes, elles veulent quoi?
Sur le modèle de Désobéir, précédent travail de Julie Berès qui donnait la parole à de jeunes femmes issues de l’immigration, la metteuse en scène a souhaité entendre ces voix masculines sur la virilité, mais en partant d’une partition déjà composée par Kevin Keiss pour, chaque fois, aborder une thématique définie. D’où la construction en chapitres du spectacle, ce qui peut paraître un peu scolaire, mais permet d’éviter que cette exploration ne tourne en rond.
Remercions d’ailleurs Julie Berès d’avoir échappé au trend très actuel des témoignages qui s’empilent sans autre traitement. Tantôt les protagonistes se confient de manière intime, comme lorsque Natan, danseur classique monté sur pointes, avoue qu’il a été accro au porno.
Tantôt les interprètes dialoguent sur un ton musclé, comme ce moment d’échange à cran entre
Tigran et Romain. En substance, le premier estime que les femmes ont beau se revendiquer féministes, elles veulent toujours des mecs, des vrais, dans leur lit.
Tandis que le second, qui a grandi dans l’idée de l’héroïsme au masculin, est parvenu à comprendre que «la virilité, c’est simplement une histoire de contrôle» et que les hommes peuvent se réinventer sans perdre en plaisir, ni en autonomie.
La force de cette proposition? Le fait que certains chapitres sont uniquement dansés, comme le «cinéma viril» avec les scènes de cascades, castagnes et interminables massacres à la mitraillette (très drôle, puisque lesdits soldats se font tuer au moins 1000 fois!).
Ces séances de corps en ébullition parlent aussi, mais en creux, du mode masculin de communication qui privilégie souvent l’action à l’explication.
Jeudi dernier, à Forum Meyrin, près de Genève, la salle a «monstre kiffé», pour reprendre les mots d’un trio de jeunes filles assis à
proximité. Dès l’entame du spectacle qui commence par une explosion physique sur l’hymne marseillais de Jul, les jeunes du public ont repris le refrain et passé un pacte de complicité avec les comédiens.
Aux réactions, on a senti que certains propos frappaient fort et posaient les bonnes questions. Quand le théâtre offre une telle agora, il remplit plus que ses fonctions.
■