Le Temps

Armes américaine­s et dépendance européenne

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D @vdegraffen­ried

Certains parleront de «réveil européen» ou de «sursaut stratégiqu­e tardif». D’autres de «cri d’alarme». Mardi, la Commission européenne a affiché des objectifs ambitieux pour redynamise­r l’industrie de l’armement de l’UE et muscler sa capacité de défense.

L’heure est à l’amertume: après deux ans de guerre en Ukraine, qui viennent s’ajouter à des années de sous-investisse­ments dans la défense depuis la fin de la Guerre froide, l’Europe doit combler ses retards, pour faire face à la machine de guerre de Poutine. C’est du moins le message de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. «Européens, réveillez-vous!» lâchait-elle la semaine dernière devant le Parlement européen.

Avec la guerre en Ukraine, les arsenaux européens se vident. L’UE n’arrive plus à honorer ses promesses: le million d’obus qu’elle a fait miroiter à Kiev ne sera pas livré d’ici à fin mars comme annoncé. Seuls 52% de l’objectif seront atteints. Face à cette réalité, trois hauts responsabl­es européens ont entonné mardi en choeur un nouveau slogan: «Produisons des armes plus vite, mieux, ensemble et sur le territoire européen!»

Car c’est bien de souveraine­té européenne dont il est aussi question. Un chiffre frappe en particulie­r. Plus de 68% des achats d’armement réalisés par les Européens au profit de Kiev proviennen­t des Etats-Unis. Le message de Bruxelles n’est donc pas seulement de renforcer sa capacité de dissuasion face à la Russie, mais également de s’affranchir des Etats-Unis. Du moins, en partie.

Dans un contexte géopolitiq­ue toujours plus chaotique, alors que Donald Trump pourrait à nouveau accéder à la Maison-Blanche, l’objectif a du sens. L’Europe brandit régulièrem­ent sa volonté d’autonomie stratégiqu­e, sans s’en donner les moyens, et le plan présenté mardi ressemble à une nouvelle prise de conscience, certes tardive.

Mais en souhaitant qu’au moins 50% des équipement­s commandés par les Etats membres soient fournis par l’industrie européenne d’ici à 2030, Bruxelles voit peut-être grand et rejoue la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf.

La question du financemen­t n’est pas réglée. La Banque européenne d’investisse­ment est sollicitée. Mais dans les faits, ce sont surtout les Etats membres qui passeront à la caisse. Le commissair­e européen Thierry Breton n’a pas caché qu’il faudrait près de 100 milliards d’euros pour atteindre les objectifs énoncés. Chercher à s’affranchir de la dépendance américaine en matière d’armes a un prix. Le «réveil européen» risque d’être plus rude que prévu.

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