Armes américaines et dépendance européenne
Certains parleront de «réveil européen» ou de «sursaut stratégique tardif». D’autres de «cri d’alarme». Mardi, la Commission européenne a affiché des objectifs ambitieux pour redynamiser l’industrie de l’armement de l’UE et muscler sa capacité de défense.
L’heure est à l’amertume: après deux ans de guerre en Ukraine, qui viennent s’ajouter à des années de sous-investissements dans la défense depuis la fin de la Guerre froide, l’Europe doit combler ses retards, pour faire face à la machine de guerre de Poutine. C’est du moins le message de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. «Européens, réveillez-vous!» lâchait-elle la semaine dernière devant le Parlement européen.
Avec la guerre en Ukraine, les arsenaux européens se vident. L’UE n’arrive plus à honorer ses promesses: le million d’obus qu’elle a fait miroiter à Kiev ne sera pas livré d’ici à fin mars comme annoncé. Seuls 52% de l’objectif seront atteints. Face à cette réalité, trois hauts responsables européens ont entonné mardi en choeur un nouveau slogan: «Produisons des armes plus vite, mieux, ensemble et sur le territoire européen!»
Car c’est bien de souveraineté européenne dont il est aussi question. Un chiffre frappe en particulier. Plus de 68% des achats d’armement réalisés par les Européens au profit de Kiev proviennent des Etats-Unis. Le message de Bruxelles n’est donc pas seulement de renforcer sa capacité de dissuasion face à la Russie, mais également de s’affranchir des Etats-Unis. Du moins, en partie.
Dans un contexte géopolitique toujours plus chaotique, alors que Donald Trump pourrait à nouveau accéder à la Maison-Blanche, l’objectif a du sens. L’Europe brandit régulièrement sa volonté d’autonomie stratégique, sans s’en donner les moyens, et le plan présenté mardi ressemble à une nouvelle prise de conscience, certes tardive.
Mais en souhaitant qu’au moins 50% des équipements commandés par les Etats membres soient fournis par l’industrie européenne d’ici à 2030, Bruxelles voit peut-être grand et rejoue la fable de la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf.
La question du financement n’est pas réglée. La Banque européenne d’investissement est sollicitée. Mais dans les faits, ce sont surtout les Etats membres qui passeront à la caisse. Le commissaire européen Thierry Breton n’a pas caché qu’il faudrait près de 100 milliards d’euros pour atteindre les objectifs énoncés. Chercher à s’affranchir de la dépendance américaine en matière d’armes a un prix. Le «réveil européen» risque d’être plus rude que prévu.
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