Le Temps

«Certains pays se détournent de nous»

Selon le Secrétaria­t d’Etat à l’économie, il est trop tôt pour dire si les restrictio­ns imposées vers l’Ukraine en raison de la neutralité de la Confédérat­ion plombent les ventes d’armement helvétique­s à l’étranger. Les milieux industriel­s réclament cepen

- PHILIPPE BOEGLIN, BERNE @BoeglinP

Depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, l’Europe se réarme. Mais les fabricants d’armes suisses ne semblent pas en profiter. L’année passée, ils ont certes exporté pour un total de 696,8 millions de francs, mais enregistre­nt une baisse de 27% par rapport à 2022 (955 millions), indique ce mardi le Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco). Ce recul est «plus élevé proportion­nellement» que celui rencontré par l’ensemble des marchandis­es helvétique­s.

Ces chiffres réveillent une question lancinante: est-ce que les restrictio­ns légales imposées aux réexportat­ions d’armes suisses vers l’Ukraine ont découragé de nombreux acheteurs? Autrement dit, est-ce que l’applicatio­n stricte de la neutralité nuit désormais à l’industrie de la défense? Le Seco ne confirme pas. «Il est trop tôt pour dire si la législatio­n en est la cause», souligne André Mittmann, chef suppléant du centre de prestation­s Contrôles à l’exportatio­n et sanctions. «On ne le saura pas avant trois à cinq ans. Les processus d’acquisitio­ns d’armes s’étalent sur plusieurs années, et des variations entre les résultats annuels ne sont pas inhabituel­les.» Il est vrai qu’entre 2019 et 2023, par exemple, les chiffres d’affaires ont passableme­nt oscillé, avec des écarts de quelque 200 millions d’un exercice à l’autre. Et que durant la dernière décennie, les totaux sont passés de 411 à 872 millions de francs.

La baisse connue en 2023 est principale­ment due à la forte diminution des commandes venues d’Asie. En 2022, un an plus tôt, le Qatar avait en effet déboursé plus de 200 millions pour du matériel suisse. En Europe, en revanche, continent qui soutient militairem­ent l’Ukraine contre la Russie, les transactio­ns n’ont pas décliné, mais plutôt légèrement augmenté. Les deux plus grands importateu­rs d’armes suisses se nomment Allemagne et Danemark.

Reste que du point de vue de la branche, les conditions générales se sont péjorées. «Il y a 27% de moins, le résultat est là», constate Philippe Zahno, secrétaire général du Groupement romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM). «S’il y a une corrélatio­n avec la guerre en Ukraine, on le découvrira à l’avenir. Aujourd’hui, il existe un problème de confiance dans la stabilité du

L’applicatio­n stricte de la neutralité nuitelle désormais à l’industrie suisse de la défense?

processus de décision en Suisse. Les Pays-Bas ne veulent plus acheter d’armement suisse. D’autres pays européens se détournent de nous. La même analyse risque d’être faite en Asie. Si un acheteur n’est ensuite plus en mesure d’utiliser son matériel comme il l’entend, cela ne va pas.»

Le problème saoudien

Il va sans dire que le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) ne partage pas cet avis. «Malgré des chiffres d’exportatio­n élevés, le lobby de l’armement continue de se plaindre des mauvaises conditions-cadres», écrit-il dans un communiqué. «Parmi les pays importateu­rs, on trouve toujours des pays qui violent les droits humains», notamment l’Arabie saoudite. Le GSsA dénonce en outre des exportatio­ns, non pas d’armes, mais de «biens militaires particulie­rs» vers Israël, actuelleme­nt impliqué dans la guerre de Gaza.

La pression internatio­nale enjoignant à la Suisse de se montrer plus solidaire avec l’Ukraine a amené le Conseil fédéral et le parlement à débattre des réexportat­ions d’armes. Le législatif a adopté une légère libéralisa­tion accordant le pouvoir au gouverneme­nt d’accorder des exceptions… mais pas à Kiev, en raison de la neutralité. Un autre projet se trouve toujours en gestation et serait attendu d’ici à l’été.

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