«Certains pays se détournent de nous»
Selon le Secrétariat d’Etat à l’économie, il est trop tôt pour dire si les restrictions imposées vers l’Ukraine en raison de la neutralité de la Confédération plombent les ventes d’armement helvétiques à l’étranger. Les milieux industriels réclament cepen
Depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine, l’Europe se réarme. Mais les fabricants d’armes suisses ne semblent pas en profiter. L’année passée, ils ont certes exporté pour un total de 696,8 millions de francs, mais enregistrent une baisse de 27% par rapport à 2022 (955 millions), indique ce mardi le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). Ce recul est «plus élevé proportionnellement» que celui rencontré par l’ensemble des marchandises helvétiques.
Ces chiffres réveillent une question lancinante: est-ce que les restrictions légales imposées aux réexportations d’armes suisses vers l’Ukraine ont découragé de nombreux acheteurs? Autrement dit, est-ce que l’application stricte de la neutralité nuit désormais à l’industrie de la défense? Le Seco ne confirme pas. «Il est trop tôt pour dire si la législation en est la cause», souligne André Mittmann, chef suppléant du centre de prestations Contrôles à l’exportation et sanctions. «On ne le saura pas avant trois à cinq ans. Les processus d’acquisitions d’armes s’étalent sur plusieurs années, et des variations entre les résultats annuels ne sont pas inhabituelles.» Il est vrai qu’entre 2019 et 2023, par exemple, les chiffres d’affaires ont passablement oscillé, avec des écarts de quelque 200 millions d’un exercice à l’autre. Et que durant la dernière décennie, les totaux sont passés de 411 à 872 millions de francs.
La baisse connue en 2023 est principalement due à la forte diminution des commandes venues d’Asie. En 2022, un an plus tôt, le Qatar avait en effet déboursé plus de 200 millions pour du matériel suisse. En Europe, en revanche, continent qui soutient militairement l’Ukraine contre la Russie, les transactions n’ont pas décliné, mais plutôt légèrement augmenté. Les deux plus grands importateurs d’armes suisses se nomment Allemagne et Danemark.
Reste que du point de vue de la branche, les conditions générales se sont péjorées. «Il y a 27% de moins, le résultat est là», constate Philippe Zahno, secrétaire général du Groupement romand pour le matériel de défense et de sécurité (GRPM). «S’il y a une corrélation avec la guerre en Ukraine, on le découvrira à l’avenir. Aujourd’hui, il existe un problème de confiance dans la stabilité du
L’application stricte de la neutralité nuitelle désormais à l’industrie suisse de la défense?
processus de décision en Suisse. Les Pays-Bas ne veulent plus acheter d’armement suisse. D’autres pays européens se détournent de nous. La même analyse risque d’être faite en Asie. Si un acheteur n’est ensuite plus en mesure d’utiliser son matériel comme il l’entend, cela ne va pas.»
Le problème saoudien
Il va sans dire que le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) ne partage pas cet avis. «Malgré des chiffres d’exportation élevés, le lobby de l’armement continue de se plaindre des mauvaises conditions-cadres», écrit-il dans un communiqué. «Parmi les pays importateurs, on trouve toujours des pays qui violent les droits humains», notamment l’Arabie saoudite. Le GSsA dénonce en outre des exportations, non pas d’armes, mais de «biens militaires particuliers» vers Israël, actuellement impliqué dans la guerre de Gaza.
La pression internationale enjoignant à la Suisse de se montrer plus solidaire avec l’Ukraine a amené le Conseil fédéral et le parlement à débattre des réexportations d’armes. Le législatif a adopté une légère libéralisation accordant le pouvoir au gouvernement d’accorder des exceptions… mais pas à Kiev, en raison de la neutralité. Un autre projet se trouve toujours en gestation et serait attendu d’ici à l’été.
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