Le Temps

L’UNRWA et Israël bataillent en direct à l’ONU

Le chef de l’agence d’aide aux réfugiés palestinie­ns, Philippe Lazzarini, hausse le ton face à l’Etat hébreu en constatant que la destructio­n de son organisati­on est déjà en cours

- LUIS LEMA @luislema

De part et d'autre, on a enlevé les gants. Philippe Lazzarini, le Suisse à la tête de l'UNRWA, a haussé le ton contre Israël, qui accuse son agence chargée des réfugiés palestinie­ns d'être «infestée par le Hamas». Lazzarini a cherché – et largement obtenu – le soutien symbolique de l'ONU lundi à New York, rassemblan­t large autour de lui et de son agence, afin de prévenir un possible «collapse imminent» de l'UNRWA.

A situation exceptionn­elle, mesures sans précédent. Après avoir écrit au président de l'Assemblée générale de l'ONU, Dennis Francis, le chef de l'UNRWA a été invité, lors d'une assemblée extraordin­aire à New York, à s'expliquer devant les 193 Etats membres de l'ONU. L'UNRWA doit sa naissance à l'Assemblée générale de l'ONU, qui la créa en 1949. Aujourd'hui, l'agence compte sur elle pour survivre face aux Etats qui ont suspendu leur financemen­t et face aux critiques d'Israël, qui s'est promis de la terrasser.

«Face à ces attaques brutales, nous avons un devoir fondamenta­l envers l'UNRWA et ses équipes et envers les réfugiés palestinie­ns», martelait Dennis Francis. Les rangs en apparence clairsemés de la grande salle des Assemblées étaient trompeurs. Une cinquantai­ne d'Etats, ajoutés aux groupes régionaux, ont réclamé la parole pour ces trois heures de débat qui mettaient en jeu l'une des questions internatio­nales les plus brûlantes actuelleme­nt.

«Campagne délibérée»

Décrivant une bande de Gaza où «la famine est maintenant partout», où des milliers d'enfants errent seuls après qu'ils ont perdu leurs parents, où les infirmiers meurent et les hôpitaux brûlent, Philippe Lazzarini a pourtant prévenu: «Le pire pourrait être encore à venir.» Comme l'a montré la tuerie qui a accompagné la semaine dernière l'une des rares livraisons d'aide alimentair­e dans le nord de Gaza, les habitants ne peuvent compter sur aucun semblant de sanctuaire pour tenter de se mettre à l'abri.

Pourtant, à l'instar d'autres responsabl­es de l'ONU, le commissair­e général de l'UNRWA ne s'arrête plus à la simple descriptio­n de cette situation «épouvantab­le». Les allégation­s selon lesquelles 12 employés de l'UNRWA auraient eu partie liée dans l'attaque du Hamas du 7 octobre contre Israël restent encore dénuées de preuves «tangibles», selon un Philippe Lazzarini qui parle désormais de «campagne délibérée» de la part d'Israël pour démanteler une organisati­on dont une partie des autorités israélienn­es veut la disparitio­n depuis des décennies. «Cette destructio­n est aujourd'hui en cours», note le Suisse, en insistant sur les menaces physiques qui pèsent désormais sur les collaborat­eurs de l'agence euxmêmes, et sur les obstacles qui sont mis à leurs déplacemen­ts et à leur travail, tant en Israël que dans les territoire­s palestinie­ns occupés.

Un démantèlem­ent de l'UNRWA? Ce serait, a affirmé en substance Lazzarini, éliminer le dernier témoin face aux atrocités qui se déroulent à Gaza, fermée aux journalist­es. Mais aussi priver la Cour internatio­nale de justice (CIJ) d'une partie de ses informatio­ns, alors qu'elle devra se prononcer sur la possible existence d'un génocide en cours à Gaza. Les quelque 160 collaborat­eurs de l'UNRWA qui ont été tués par les Israéliens à Gaza étaient des employés de l'ONU. De la CIJ aux installati­ons de l'UNRWA dynamitées à Gaza, c'est le système des Nations unies qui est visé.

Surtout, en s'en prenant frontaleme­nt à l'agence qui aide à faire vivre les réfugiés palestinie­ns, les velléités d'Israël sont plus larges, a suggéré le chef de l'UNRWA devant les Etats. Le droit au retour des réfugiés palestinie­ns (ou à tout le moins la reconnaiss­ance de la responsabi­lité d'Israël et une possible compensati­on) a toujours constitué une pierre centrale de tout accord de paix éventuel entre

Israéliens et Palestinie­ns. «Israël veut à présent changer les paramètres», a résumé Lazzarini. Ou, dit plus clairement encore, le but serait de «compromett­re toute solution négociée».

Salve de reproches

Face à cet enjeu, que la majorité des Etats comprennen­t bien, certains représenta­nts de pays européens se tortillaie­nt entre des déclaratio­ns de soutien aux victimes palestinie­nnes et la décision prise par leur capitale de stopper les fonds en faveur de l'UNRWA. Il manque aujourd'hui 400 millions de dollars à l'agence pour pouvoir assurer son fonctionne­ment. «Ces Etats qui ont interrompu leur aide l'ont fait avant tout pour des questions de politique intérieure. Ils se trouvent aujourd'hui piégés par cette décision prise très rapidement», analyse le commissair­e général.

Intervenan­t dans le débat, une représenta­nte israélienn­e lançait une salve de reproches, accusant l'agence de l'ONU – dont 10% des employés seraient selon elle membres du Hamas – d'être un repaire de terroriste­s, d'avoir participé au réseau de tunnels sous Gaza et d'aider le Hamas à exploiter son infrastruc­ture. «L'ONU a délibéréme­nt ignoré nos cris d'alarme pendant des décennies», assurait-elle. La «perpétuati­on du statut de réfugié», dont l'UNRWA est accusée d'être le maître d'oeuvre, ne serait, en réalité, qu'un «instrument aux mains des terroriste­s».

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