Le temps presse pour améliorer l’accessibilité des transports publics
Entreprises, cantons, villes et communes n’ont pas rempli les obligations légales requises, au 1er janvier 2024, par la loi sur l’égalité pour les personnes en situation de handicap. Pourtant, ces différents acteurs de la mobilité tentent de promouvoir un
Imaginez la scène. Une personne en fauteuil roulant tente de rejoindre seule la patinoire des Vernets à Genève, depuis l’arrêt de bus Bout-du-Monde, près du centre sportif. Mission impossible. Nouveau trajet, nouvel échec et même constat: rejoindre la Vaudoise Arena depuis Bourdonnette sur un fauteuil se révèle périlleux. L’ensemble des arrêts précités sont répertoriés parmi ceux non accessibles en chaise roulante. «Plus de 500 gares, et même deux tiers des arrêts de bus et de trams, ne sont pas exemptes d’obstacles», fustigeait Inclusion Handicap en novembre dernier. L’entrée en vigueur de la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées (LHand) au 1er janvier 2024 semble ainsi générer un véritable branle-bas de combat pour les collectivités et les sociétés de transport. Elles ont pourtant eu vingt ans pour mettre en oeuvre les dispositions de ce texte. En dépit de certains progrès, les entreprises des transports publics, les cantons, les villes et les communes n’ont pas encore rempli les obligations légales en raison notamment «de la complexité et de l’ampleur de la tâche», avait souligné l’Union des transports publics en novembre.
«Vingt ans, c’est beaucoup, glisse Malick Reinhard, journaliste spécialisé dans les questions de handicap. Et même si ce délai n’était pas suffisant, il aurait pu y avoir des discussions plus proactives des sociétés de transport notamment avec les personnes concernées, dans le but de mieux appréhender la situation et surtout d’établir un calendrier des priorités, poursuit-il. Si l’on se réfère aux études de faisabilité technique tardives et mésestimées des CFF, des communes et de l’Office fédéral des transports (OFT), il semble que la situation n’a pas été prise au sérieux.»
«La mise en oeuvre de la LHand repose sur la coordination de plusieurs partenaires, souligne Patricia Solioz Mathys, directrice générale des Transports publics de la région lausannoise (tl). Les arrêts de bus, par exemple, sont la propriété des communes. Nous sommes propriétaires des stations de métro et des rames, illustre-t-elle. Nous avons dû adapter les véhicules aux arrêts et vice versa. Notre responsabilité était de nous assurer que nos véhicules et nos stations soient «LHand compatibles» et d’informer les communes et les collectivités de la compatibilité de leurs arrêts».
Les transports publics lausannois comptabilisent à ce jour plus de 50 arrêts non accessibles de manière autonome ou uniquement avec l’assistance du personnel de conduite, et pour lesquels des navettes ont été mises à disposition. Des efforts perçus comme insuffisants par les principaux concernés. En Suisse, quatre personnes en situation de handicap sur cinq ont le sentiment que leur participation sociale est fortement limitée en raison de leur handicap, notamment dans les domaines de la politique, du travail et de la mobilité, selon une étude mandatée par Pro Infirmis, publiée en septembre dernier.
Une réflexion plus large
«Je comprends ce sentiment d’exclusion, reprend Patricia Solioz Mathys. C’est tout l’enjeu de pouvoir impliquer les personnes concernées le plus tôt possible.» Une réflexion que la société de transports veut élargir à d’autres situations de vie courante. Personnes malvoyantes, malentendantes, seniors ou encore femmes enceintes se retrouvent ainsi largement intégrées dans la réflexion autour des aménagements et de l’expérience usager. «Tout nouveau projet d’infrastructure ou de véhicule est testé avec des associations au niveau de l’accompagnement et de l’expérience voyage, précise Patricia Solioz Mathys, il ne s’agit pas uniquement de pouvoir accéder aux véhicules, mais aussi de sortir de la station, de s’y déplacer…»
Une vision plus inclusive de la mobilité, plébiscitée par Malick Reinhard: «Il faut réfléchir bien au-delà du fauteuil roulant. Avec le vieillissement de la population et
l’augmentation de l’espérance de vie, nous nous dirigeons tous vers des formes de limitations.»
Ces réflexions interviennent au moment où les enjeux de l’inclusion progressent et où la perception du handicap évolue. «Les entreprises de transport public n’ont pas moins bien fait que le reste de la société civile, qui, dans son ensemble, a un biais cognitif quant à la représentation du handicap, juge Malick Reinhard. Elle commence à segmenter handicap intellectuel et handicap physique, mais a toujours de la peine à voir la diversité des situations, notamment celles «invisibles», qui sont les plus diagnostiquées.»
Collaborer étroitement avec les acteurs directement concernés, faire preuve d’humilité quant à la complexité de certaines situations et remettre in fine l’humain au centre de la planification. «Cela peut paraître léger quand on le dit, mais dans les faits, ce n’est pas encore le cas», souligne Sarah Droz, ingénieure en mobilité chez Metron et membre de l’association Lares. Composée d’architectes et d’urbanistes, cette dernière plaide pour un changement culturel dans le domaine de la planification, de l’aménagement et de la construction, afin que tous les besoins soient pris en compte.
«Lorsqu’on évoque la LHand, la plupart des gens pensent aux personnes en chaise roulante, et de temps en temps aux personnes âgées, mais rarement au reste de la population qui rencontre des problèmes dans sa mobilité quotidienne, poursuit-elle. Des études ont pourtant montré que si on respectait les normes d’accessibilité universelle, on pourrait atteindre 93% des usagers et usagères dans des situations précises de leur vie.» Une jambe cassée au ski, de gros bagages à transporter, des commissions un peu lourdes à soulever: l’approche tend vers l’exhaustivité des situations auxquelles les usagers pourraient être confrontés.
Responsabilité collective
S’agissant de la mise en oeuvre de la LHand, la faîtière Inclusion Handicap a demandé que les transports publics soient accessibles sans obstacles d’ici à 2030 au plus tard. Quelque 6000 interventions sur le réseau des CFF sont prévues en Suisse romande en 2024.
Si la responsabilité des villes, communes, cantons et sociétés de transport ne peut être minimisée, quid de nos comportements individuels et collectifs? Rares sont celles et ceux à n’avoir jamais pesté à la vue d’une poussette trop encombrante dans le bus, ou à l’idée de devoir céder sa place assise à une personne âgée. «Il y a effectivement une responsabilité collective à avoir. Nous devons envisager le vivre-ensemble en étant attentifs aux personnes les plus vulnérables et les plus fragiles», considère Alain Huber, directeur de ProSenectute. «Une personne de 80 ans et plus, qui s’installe dans le bus avec son déambulateur va prendre de la place, illustre-t-il. Il faut être compréhensif. Si elle veut être intégrée à la société, elle doit pouvoir prendre les transports à n’importe quelle heure, et sans jugement», conclut-il. ■