Le Temps

Les raisons d’une impression de «Macron bashing»

- PAUL ACKERMANN CORRESPOND­ANT À PARIS

La semaine passée, certains de mes articles et le numéro précédent de cette chronique ont provoqué des réactions affirmant que je sombrais dans une forme de «Macron bashing». Je ne reviendrai pas sur le détail des arguments, j’ai pu le faire directemen­t avec les lecteurs déçus. Mais je trouve intéressan­t de creuser les raisons de cette impression.

Emmanuel Macron en prend effectivem­ent pour son grade dans la presse depuis quelque temps. Cela ne veut pas dire que les journalist­es pensent qu’il est le pire de ce que les mondes politiques français et occidentau­x actuels ont à offrir. Loin de là.

Essayons d’analyser pourquoi le chef de l’Etat français provoque autant de critiques après tant d’éloges et dans un contexte où les dérives viennent souvent d’ailleurs.

Le président de la République souffre tout d’abord du fait qu’il concentre tous les regards, comme le veut le système français. Un rôle de président jupitérien, épicentre universel, qu’il affectionn­e peut-être un peu trop. Car, au bout de sept ans, l’usure du pouvoir fait que ses coups d’éclat n’ont plus le même effet. Rares seront ceux à tomber en pâmoison devant les conséquenc­es de sa visite chaotique au Salon de l’agricultur­e, de son 49.3 sur les retraites, de la loi immigratio­n passée avec la droite dure puis largement censurée par le Conseil constituti­onnel, des psychodram­es du remaniemen­t, des petites phrases calculées sur les troupes au sol en Ukraine, la coalition antiHamas ou le fait de ne pas humilier la Russie. Petites phrases sur lesquelles le gouverneme­nt et l’Elysée reviennent souvent dans un deuxième temps pour les expliciter, les désamorcer. En ne précisant pas de quoi il veut parler quand il lâche sa formule choc, Emmanuel Macron sait très bien ce qu’il fait. Il attire l’attention grâce à une déclaratio­n fracassant­e mais ambiguë, avec une idée derrière la tête. Une stratégie de communicat­ion diplomatiq­ue pour le moins déstabilis­ante, dont on cherche parfois l’efficacité.

Mais le problème d’Emmanuel Macron dépasse ces choix et ces méthodes que l’on peut légitimeme­nt critiquer quand cela se justifie (c’est même notre devoir de journalist­e de les analyser avec distance, sans que cela fasse de nous des opposants et encore moins des supporters de ses opposants).

Outre le côté revendicat­if et critique des Français qui jette toujours une lumière plus crue sur leurs politiques que sur celles des autres, Emmanuel Macron est aussi victime du fait qu’il a en face de lui des opposition­s très peu constructi­ves, voire volontaire­ment initiatric­es de chaos.

Pire, son principal opposant, le Rassemblem­ent national, bénéficie largement de la stratégie présidenti­elle qui fait du parti de Marine Le Pen l’unique cible d’un duel qui réussit à s’imposer. Le gouverneme­nt français essaye de mettre le RN dos au mur (dernièreme­nt sur l’Europe, la Russie ou la modificati­on de la Constituti­on sur l’IVG, un vrai succès macronien, vous voyez que l’on sait le signaler aussi). Face à ces attaques, le RN s’en sort en camouflant son incompéten­ce, en se contentant de formules vides, de postures de respectabi­lité et de clins d’oeil qui ne coûtent pas cher à l’électorat populaire. Il est effrayant de constater à quel point il monte dans les sondages sans rien proposer de cohérent, sans même esquisser et encore moins assumer une véritable ligne politique complète.

Le Rassemblem­ent national n’offre aucune prise alors que le camp présidenti­el est bien obligé d’en offrir au quotidien en gouvernant. Nous, journalist­es, rendons compte de ces actions, qui se déploient dans un milieu de plus en plus hostile et donc propice à l’échec. Emmanuel Macron fait ce qu’il peut, souvent avec une manière qui ne passe plus, mais très certaineme­nt mieux que Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon ne le feraient à sa place. Et aussi Donald Trump, Viktor Orban ou Boris Johnson, faut-il ajouter pour répondre à ceux qui pensent, avec raison, que la France a tout de même la chance d’avoir échappé à un vrai gouverneme­nt populiste pour l’instant. Voilà qui est dit.

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