Le Temps

L’heure du tout à l’Etat

- CYRIL AELLEN CONSEILLER NATIONAL (PLR/GE)

Par lucidité ou par pessimisme, je l’ignore, je ne me faisais guère d’illusion: même si elles sont inscrites dans les statuts ou en tête du programme de nombreux partis, la liberté et la responsabi­lité sont des valeurs fondamenta­les qui ne s’invitent que peu souvent au coeur des débats parlementa­ires. Les places de leurs défenseurs au sein de l’hémicycle sont vacantes depuis longtemps et personne ne semble réellement s’y intéresser. Malgré un probable inconfort, je vais risquer, au moins un temps, d’occuper un de ces sièges, le plus petit pour commencer.

La liberté des uns ne s’arrête plus là où commence celle des autres. La célèbre formule de John Stuart Mill est devenue désuète. La liberté est désormais bornée. Ce n’est plus la liberté de l’autre qui compte, ce qui importe, c’est le seul respect de la règle. L’Etat autorise, rarement. L’Etat interdit, souvent. L’Etat doit imposer ce qui est bien, l’Etat doit prohiber ce qui est mal. Il est attendu de l’élu qu’il perpétue ce rituel politique. Peu me chaut, je n’exclus donc pas de décevoir certaines attentes.

Sans liberté, la responsabi­lité individuel­le n’existe plus. La mise en place d’un Etat, détenteur exclusif du bien et du mal, qui dicte en toutes choses une ligne de conduite, supprime le libre arbitre et vide de sens la responsabi­lité individuel­le. Celui qui n’a plus de libre arbitre dans une prise de décision ne peut pas être tenu d’assumer les conséquenc­es de ses actes. Seul subsiste le devoir de respecter la règle. Le risque d’un Etat omnipotent, qui induit une déresponsa­bilisation croissante des individus dans tous les domaines de la vie, se réalise progressiv­ement.

Parfois, la déresponsa­bilisation de l’individu par l’Etat, et plus encore par la classe politique, est souvent insidieuse. Même si dans le cas particulie­r, l’initiative première a été celle du peuple, les débats sur la révision partielle de la loi sur les produits du tabac, qui vise à supprimer toute publicité atteignant les jeunes, en sont une caricatura­le démonstrat­ion. Que ceux-ci se déroulent de surcroît le lendemain d’un autre débat destiné à assurer le droit de vote à 16 ans, rend la situation encore plus cocasse.

En effet, les jeunes, dès 16 ans, devraient avoir leur mot à dire en ce qui concerne leur avenir. Ils témoignera­ient, par leur engagement politique de plus en plus marqué, une forte connaissan­ce des sujets qui les préoccupen­t. Ils démontrera­ient, par leur capacité d’analyse et leur esprit critique, une conscience politique suffisante pour faire entendre leur voix et participer aux décisions majeures de notre pays. Et cela surtout, ajoutent les promoteurs du vote dès 16 ans, lorsqu’il s’agit de décisions qui impactent durablemen­t leur avenir. Les jeunes sauraient, aussi bien que leurs aînés et en toute connaissan­ce de cause, défendre leurs idées pour les thèmes qui les concernent: la protection de l’environnem­ent et le changement climatique, la politique énergétiqu­e ou encore… la santé.

Aussi, un jeune de 17 ans serait à même de se prononcer valablemen­t sur des objets politiques de santé publique mais serait incapable, dans le même temps, ne serait-ce que subreptice­ment, d’être confronté à la moindre publicité en faveur d’une cigarette électroniq­ue.

A la vision d’une photo d’un paquet de cigarette de couleurs rouge et blanc,la responsabi­lité individuel­le d’un jeune de 17 ans disparaît immédiatem­ent, abruptemen­t. L’Etat se substitue à sa capacité de discerneme­nt. Comme souvent, l’Etat a interdit. L’Etat sait à sa place. L’Etat doit lui imposer ce qui est bien et prohiber ce qui est mal. Et, pour paraphrase­r Molière, «Couvrez-moi ce cigare cubain que je ne saurais voir. Par de pareils objets les âmes sont blessées/Et cela fait venir de coupables pensées».

Enfin, j’ai l’avantage, en écrivant ces quelques mots, que je ne peux pas être tenu responsabl­e de mes propos car, me dit-on, je suis sous l’influence des lobbys. J’ignore qui m’influence et de quelle manière, mais cela, peu importe.

■ Plusieurs nouveaux élus au parlement prendront régulièrem­ent cette année la parole dans les colonnes du «Temps» sous forme de chronique

L’Etat autorise, rarement. L’Etat interdit, souvent

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