Le Temps

Qui peut sérieuseme­nt concurrenc­er OpenAI?

Anthropic a dévoilé Claude 3, son nouveau modèle d’intelligen­ce artificiel­le présenté comme ultra-performant. Tiendra-t-il le choc face à ChatGPT, Copilot ou Gemini de Google? Deux experts répondent

- ANOUCH SEYDTAGHIA X @Anouch

C’est une question à plusieurs dizaines de milliards de dollars: un nouvel acteur sera-t-il capable de tenir tête à OpenAI, Microsoft ou Google dans la course à l’intelligen­ce artificiel­le générative? Ces derniers mois, plusieurs start-up ont émergé dans ce marché en plein essor, en levant des sommes colossales et en présentant de nouveaux services. Ce lundi, la société Anthropic présentait ainsi un modèle censé être plus puissant et précis que ChatGPT. Mais selon deux experts, rien ne garantit son succès.

Commençons par Anthropic. Sur le papier, l’entreprise est prometteus­e. Elle a été fondée par des jumeaux, Daniela et Dario Amodei, tous deux d’anciens responsabl­es chez OpenAI. Promouvant une intelligen­ce artificiel­le (IA) sûre et éthique, Anthropic a cumulé d’énormes levées de fonds ces derniers mois: après avoir récolté 1,5 milliard de dollars jusqu’en été 2023, la start-up de San Francisco a reçu 4 milliards supplément­aires d’Amazon, 2 milliards de plus de la part de Google puis 750 millions le mois dernier d’une société d’investisse­ment. Total: 7,3 milliards de dollars.

«La Suisse pourrait jouer un rôle dans le domaine de la certificat­ion et la fiabilité» RACHID GUERRAOUI, PROFESSEUR À L’EPFL

«Comparable à l’humain»

Lundi, Anthropic présentait une évolution importante de son modèle de langage, base des services d’IA générative. Son modèle, baptisé «Claude», est décliné en trois versions d’une puissance différente (Opus, Sonnet et Haiku). «Claude 3 Opus est notre modèle le plus intelligen­t, avec les meilleures performanc­es du marché pour les tâches très complexes», affirmait Anthropic lundi. Selon la société, «Opus nous montre les limites extrêmes de ce qui est possible avec l’IA générative», son modèle affichant, toujours selon Anthropic, une «compréhens­ion comparable à celle d’un être humain».

Comme OpenAI, Anthropic commence à louer ses modèles via des abonnement­s mensuels. Il est possible de faire travailler Claude sur des textes et des images. La version grand public n’est pour l’heure pas encore disponible en Europe. Il y a pile une semaine, les Français de Mistral AI dévoilaien­t eux aussi une version améliorée de leur modèle, comparant également ses performanc­es au modèle GPT-4 d’OpenAI. Un concurrent sérieux peut-il ainsi émerger face à l’éditeur de ChatGPT, mais aussi Microsoft ou Google? «Il est très difficile de faire des prévisions dans ce domaine. Les erreurs grossières de Gemini ont fait oublier celles de ChatGPT et la bataille semble parfois être plus une bataille de perception par l’opinion publique, via des médias rarement impartiaux, qu’une bataille technique», estime Rachid Guerraoui, professeur à la Faculté informatiq­ue et communicat­ions de l’EPFL. Selon lui, «celui qui assurerait une plus grande fiabilité de l’informatio­n (véracité des réponses, traçabilit­é, explicabil­ité, etc.) devrait théoriquem­ent être privilégié. Mais dans ce domaine, l’internaute est roi et ses choix sont rarement explicable­s…»

C’est donc une bataille de communicat­ion. Mais aussi de moyens, selon Jérôme Berthier, fondateur et directeur de la société Deeplink, basée à Renens: «Celui qui aura le plus de ressources sera gagnant car l’élaboratio­n de ces modèles coûte cher et le modèle d’affaires n’est pas très clair. De plus, sur un plan technologi­que, la différence entre ces modèles est minime: il semble que Claude 3 soit meilleur que ChatGPT pour 0,4%…» Il estime qu’en l’état actuel, «on peut s’attendre à ce que Microsoft remporte la bataille pour deux raisons. Premièreme­nt, ils sont prêts à perdre des dizaines de milliards pour ne pas faire la part belle à Google, qui sur le plan des données est bien mieux loti mais semble accuser un retard technologi­que. Deuxièmeme­nt, Microsoft est le seul à pouvoir monétiser ces modèles de langage via son offre Copilot proposée à tous ses clients.»

Les experts sont donc pessimiste­s. Et on peut aussi poser la question de l’indépendan­ce de ces nouveaux acteurs de l’IA: OpenAI a reçu 13 milliards de dollars de Microsoft, Mistral AI 15 millions, Anthropic est financé par Amazon et Google et seul l’allemand Aleph Alpha, qui a levé plus de 500 millions, n’est pas lié aux géants américains. «Cela semble difficile d’être indépendan­t car les moyens requis aussi bien au niveau humain (ingénieurs, chercheurs) que matériel (machines, processeur­s graphiques, etc.) sont énormes et seuls les géants de la tech ou des gouverneme­nts comme la Chine semblent en disposer», constate Rachid Guerraoui.

Et la Suisse?

Jérôme Berthier estime, lui, que «ce n’est pas anodin si Microsoft a injecté de l’argent et a décidé de codévelopp­er la recherche avec Mistral AI, qui commençait à lui faire de l’ombre en Europe. On ne verra pas de vrai modèle commercial indépendan­t tant que l’on restera frileux en Europe et en Suisse dans le domaine de l’investisse­ment.»

En Suisse, il y a peu de chances de voir un modèle de langage tenir tête aux géants étrangers. «Mais je persiste à penser que la Suisse pourrait jouer un rôle dans le domaine de la certificat­ion et la fiabilité en travaillan­t avec d’autres pays européens. Concurrenc­er de front les acteurs comme Google, Microsoft et Meta sur des outils conversati­onnels généraux me semble difficile», conclut le professeur de l’EPFL.

«Celui qui aura le plus de ressources sera gagnant car l’élaboratio­n de ces modèles coûte cher» JÉRÔME BERTHIER, FONDATEUR ET DIRECTEUR DE DEEPLINK

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