«Lire et faire lire est une question de santé publique»
L’écrivain genevois Joël Dicker, numéro 1 des ventes, publie ces jours-ci «Un Animal sauvage», thriller psychologique situé entre Genève, Cologny et Saint-Tropez. Il nous parle ici de sa présence au Salon du livre
Vous êtes l’un des trois auteurs invités d’honneur du Salon du livre. Que représente pour vous cette carte blanche? Je suis content de retourner au Salon en tant qu’auteur, un peu «à domicile». La dernière fois remonte à 2015 déjà. Le Salon à Palexpo est aussi associé chez moi à beaucoup de souvenirs d’enfance. Je me souviens de la joie d’y aller avec l’école; on attendait ce moment. Cette année, je vais animer deux rencontres. L’une avec Douglas Kennedy et David Foenkinos que je connais et apprécie. Je trouve intéressant de les faire dialoguer ensemble. L’autre portera sur la lecture et l’importance de transmettre le goût de lire aux jeunes.
C’est un cheval de bataille? J’ai proposé à Claire Audhuy, une formidable militante de la lecture qui est aussi autrice et éditrice, membre du collectif Rodéo d’âme, qui fait un travail remarquable autour de l’exil notamment, de rencontrer Anne Hiltpold, la conseillère d’Etat chargée de l’Instruction publique à Genève. A quoi doit servir l’école aujourd’hui et qu’est-ce que l’on peut faire pour donner envie de lire aux enfants et adolescents? C’est une urgence selon vous? Oui, je souhaite que l’on sorte des discours politiques et que l’on parle en citoyens et citoyennes, en démocrates. Parce que les enjeux sont là. La lecture est essentielle au développement d’une pensée critique et indépendante, elle permet de se mettre à la place de l’autre et donc de développer l’empathie. C’est une question de santé publique aujourd’hui. L’école, les parents, toutes les personnes qui entourent les jeunes ont un rôle majeur à jouer dans la transmission de la lecture. Face à des jeunes qui ne grandissent pas dans un cadre qui favorise la lecture, l’école prend évidemment encore plus d’importance. On peut craindre d’ailleurs que les parents aient de moins en moins le goût de transmettre si eux-mêmes lisent moins. On crée des générations de gens qui ne lisent plus.
Vous avez publié cet automne dans votre maison d’édition le plaidoyer pour la lecture, «Lecteur, reste avec nous!», de la chercheuse Maryanne Wolf. Elle vous inspire? Enormément. Il faut former les enfants à la lecture attentive, profonde, qui n’est possible que sur papier. Les outils numériques ont leurs qualités propres mais ils entraînent une lecture en survol. Maryanne Wolf déconseille l’usage des tablettes dans les écoles. Les pays qui ont fait ce choix sont en train de rétropédaler.
«Il faut former les enfants à la lecture attentive, profonde, qui n’est possible que sur papier»
Que fait l’enseignant de vos rêves pour donner le virus de la lecture à ses élèves? Il lit à haute voix en classe, chaque jour, dès le début du cours. Et au bout de quinze jours, il leur dit de continuer par eux-mêmes. Ils vont lire ou du moins auront envie d’essayer.
Qu’est-ce qui déclenche le goût de lire selon vous? La récurrence. Cinq minutes par jour de lecture développent déjà le goût de lire. Personne ne recherche l’ennui même si c’est l’ennui qui stimule la créativité. Aujourd’hui, le téléphone portable remplit chaque interstice de vide dans nos vies. Il faut se fixer des plages de temps sans téléphone, par exemple le soir. Au lieu d’envoyer un dernier mail, on prend un livre. Je le fais personnellement et je vois la différence.
Vous lisiez enfant? Mes parents m’ont beaucoup lu d’histoires. D’après moi, c’est comme cela que l’on devient lecteur plus tard. La lecture à haute voix est un moment de partage. On dit toujours aux enfants de ne pas lire à table. Mais pourquoi ne pas leur lire un livre à haute voix pendant le repas? Les livres sont des compagnons à tous les moments de la journée et de la vie.
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