Argentine: que pasa?
Le nouveau président de l’Argentine, Javier Milei, s’est rendu célèbre durant la campagne électorale en arborant une tronçonneuse destinée à symboliser ses intentions à l’égard du système politique de son pays. Trois mois après son élection, il persiste et signe, mais le bois est dur. Sa stratégie est d’agir très vite et très fort, pour éviter l’enlisement qui a caractérisé les précédents efforts de réformer un pays bien malade.
Depuis 1946 et en dehors d’une période de dictature militaire de sept ans, le parti péroniste a remporté la plupart des élections présidentielles. Même si les présidents péronistes ne forment pas un bloc homogène, le parti a toujours voulu défendre les classes moyennes face aux grands propriétaires. Il a développé un système de protection sociale avancé. La méthode économique a combiné protectionnisme et interventionnisme, et des subventions généreuses comme pour maintenir des prix bas. Et ça n’a pas marché comme prévu. Alors qu’en 1946, le niveau de vie moyen était comparable ou supérieur à celui des pays européens et du Japon, il a diminué de moitié. Les déficits publics se sont approfondis, avec deux conséquences majeures: l’inflation moyenne sur les 80 dernières années est proche de 200%, avec un pic de 20 000% en 1990, et même si l’Argentine est le pays qui a bénéficié le plus des aides du FMI, le gouvernement a fait cinq fois défaut sur sa dette, sans doute un record mondial.
On pourrait penser que tant d’échecs depuis si longtemps auraient pu conduire à un changement de méthode ou à la fin du péronisme. Eh bien, non. Au fil du temps, le parti péroniste a noué une puissante alliance avec les syndicats et avec les entreprises qui bénéficient des prébendes de l’Etat. Ce faisceau d’intérêts croisés est le résultat de la méthode économique et la garantie d’un soutien indéfectible des groupes de pression. C’est à cette alliance que veut s’attaquer le nouveau président.
Son intérêt pour la tronçonneuse est instruit par l’expérience de Mauricio Macri, président non péroniste entre 2015 et 2019. Il avait été élu sur un programme proche de celui de Javier Milei, mais il a choisi d’avancer avec précaution. Ses projets de réforme se sont englués face à l’opposition, parfois violente, des syndicats et autres groupes de pression. Il a quitté le pouvoir sans avoir pu réduire les déficits budgétaires ni sérieusement affaibli le protectionnisme et l’interventionnisme, laissant le pays tout aussi exsangue qu’à son arrivée au pouvoir.
Javier Milei n’a pas perdu de temps. Dès ses premiers jours au pouvoir, il a décidé de réduire les subventions, de drastiquement réduire la taille de l’administration, de libérer les prix et de cesser de manipuler le taux de change massivement surévalué. Mais, nouveau en politique, il ne dispose que d’une petite minorité au parlement. Il a donc le choix entre négocier avec les autres partis politiques, y compris les péronistes tout-puissants, ou essayer de passer en force. Il essaie de légiférer par décrets tout en profitant de sa popularité pour pousser le parlement à adopter un millier de réformes, sans vraiment négocier. Une crise politique profonde est en train de s’installer, sur fond de grèves et de manifestations.
Est-il possible que la légitimité que lui confère sa récente élection puisse faire plier une opposition qui tient le parlement et les régions dans un système fédéral? C’est l’enjeu des semaines qui viennent. La situation économique se détériore rapidement. La libération des prix nourrit l’inflation, l’austérité budgétaire plonge le pays dans la récession, la libération partielle du taux de change a provoqué une dévaluation de plus de 50% du peso. Javier Milei promet que c’est le prix à payer pour mettre fin au péronisme, et c’est techniquement plausible. Mais les résultats doivent se manifester rapidement pour qu’il puisse continuer à s’appuyer sur sa popularité, qui tient pour l’instant malgré les souffrances. Avec ses excès verbaux et son inexpérience politique, il commet de nombreuses erreurs politiques que ses puissants ennemis exploitent, bien sûr. On pense au Don’t Cry for Me, Argentina de Joan Baez.
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