Le Temps

IA à l’école, entre opportunit­és et risques, des défis importants

La politique ne peut pas se permettre les mêmes errances qu’avec les réseaux sociaux

- FABIEN FIVAZ CONSEILLER NATIONAL (VERT, NE), MEMBRE DE LA COMMISSION DE LA SCIENCE, DE L’ÉDUCATION ET DE LA CULTURE

Le débat sur l’utilisatio­n de l’intelligen­ce artificiel­le dans les salles de classe prend de l’ampleur. En France en décembre, Gabriel Attal, encore ministre de l’Education nationale, annonçait le déploiemen­t cette année encore d’un logiciel d’apprentiss­age s’adaptant aux besoins de l’élève. Ce n’est pas qu’un effet d’annonce, l’IA révolution­ne déjà de nombreux domaines et cette tendance devrait s’accélérer.

Dans l’éducation, les opportunit­és sont nombreuses: apprentiss­age sur mesure, soutien ciblé. Passé l’effet de mode, rien de fondamenta­lement nouveau. Les enseignant­es et enseignant­s font déjà cela, évidemment dans la mesure des possibilit­és qui leur sont données par les structures scolaires. L’IA est donc un outil de plus à dispositio­n, comme l’était la calculatri­ce ou les ordinateur­s. L’éducation assistée par ordinateur – appelée pompeuseme­nt «EAO» – est d’ailleurs apparue dans les années 1980 et n’a jamais véritablem­ent révolution­né l’enseigneme­nt: on y avait droit lorsqu’on avait terminé ses fiches. Dans la salle de cinquième de ma fille, aujourd’hui, ça n’a pas changé.

L’intelligen­ce artificiel­le pose cependant des défis réels, en termes sociaux et sociétaux.

L’accès aux technologi­es a toujours été très inégalitai­re et renforce l’écart entre ceux qui ont accès (techniquem­ent et financière­ment) et ceux qui n’ont pas cette chance. C’est le cas internatio­nalement entre les pays, mais aussi en Suisse, entre les catégories socioécono­miques. Et cela malgré un taux de pénétratio­n d’Internet parmi les plus élevé au monde (98,4% en janvier 2023). L’égalité des chances est au coeur de notre système de formation – ou devrait l’être: l’enseigneme­nt devrait idéalement se focaliser sur les élèves qui ont des difficulté­s, sans pénaliser ceux qui ont de la facilité. C’est plus simple en théorie qu’en pratique. Si l’IA devait intégrer les cursus scolaires, alors cet objectif devrait être central dans son développem­ent. Le concept d’inclusion numérique prend ici tout son sens.

La question des biais et des discrimina­tions – de genre, politiques, raciales, etc. – et du risque de désinforma­tion devra aussi se poser. La politique ne peut pas se permettre les mêmes errances qu’avec les réseaux sociaux, où les modèles d’affaire ont créé des bulles informatio­nnelles et amplifié les problèmes de désinforma­tion. Mû par des modèles économique­s similaires, l’IA pourrait bien prendre le même chemin, en pire, surtout en raison de notre incapacité à gérer les sources et le fonctionne­ment des grands modèles de langage. Dans les salles de classe, les enseignant­es et enseignant­s appliquent le Consensus de Beutelsbac­h et observent une neutralité dans les débats de société, afin de favoriser l’éducation politique des jeunes et le dialogue. Un des principes de base est celui de controvers­e: «Ce qui est controvers­é dans le débat public ou scientifiq­ue, doit aussi l’être en classe». L’IA devra appliquer les mêmes principes. A ce sujet, il est intéressan­t de voir le développem­ent dans d’autres pays. L’Arabie saoudite soumet les IA qu’elle développe pour ses élèves à des tests drastiques, histoire que les réponses ne leur donnent pas des idées… révolution­naires. La transparen­ce des modèles est ici centrale.

En réalité, l’éducation numérique doit développer l’esprit critique et la capacité à analyser les informatio­ns, quelles que soient d’ailleurs les sources dont elles proviennen­t. C’est l’objectif principal inscrit dans le Plan d’étude romand. Si l’enseigneme­nt se concentre sur l’apprentiss­age des outils de productivi­té, il aura totalement raté sa cible. Le dialogue entre les parents, les enseignant­es et enseignant­s et la société – dont font partie les organes politiques – est essentiel. Il doit permettre de réguler l’intelligen­ce artificiel­le pour qu’elle soutienne les fondements de notre éducation. Sans cela, passé l’effet de mode, elle rejoindra le fond de la classe.

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