Le Temps

En Italie, les services anti-mafia dévoyés

Les informatio­ns, bancaires principale­ment, de plusieurs centaines de personnali­tés de la société civile auraient été illégaleme­nt fichées par l’organisme d’Etat censé lutter contre le crime organisé et transmises à certains médias

- ANTONINO GALOFARO, MILAN X @ToniGalofa­ro

Des ministres du gouverneme­nt de Giorgia Meloni, des membres de l’opposition, des élus, la compagne de Silvio Berlusconi, des entreprene­urs, le célèbre rappeur Fedez ou encore le footballeu­r portugais Cristiano Ronaldo ont un point commun surprenant. Ces acteurs de la vie politique et publique de la Péninsule auraient tous été espionnés par les services de lutte contre les mafias. Des informatio­ns personnell­es d’au moins 800 personnali­tés auraient été contrôlées et fichées en dehors de tout cadre légal et, selon les cas, partagées avec la presse, d’après les premiers éléments d’enquête révélés cette semaine. «Nous voulons savoir qui sont les mandataire­s», s’est insurgée mardi la première ministre avant de dénoncer des «méthodes» dignes des «régimes autoritair­es». «Il s’agit d’un scandale d’une gravité sans précédent», s’est aussi emportée la secrétaire du Parti démocrate, Elly Schlein.

Des motivation­s encore inconnues

L’affaire est aussi médiatique que compliquée. Deux personnes ont été mises en examen par le parquet de Pérouse: le procureur adjoint anti-mafia Antonio Laudati est accusé d’avoir fiché des informatio­ns personnell­es recueillie­s illégaleme­nt. Les comptes bancaires de plusieurs personnes auraient par exemple été ouverts et analysés. L’homme aurait été aidé par le lieutenant de la garde des finances, Pasquale Striano, membre de la DIA, la Direction d’investigat­ion anti-mafia, au moment des faits, entre 2021 et 2022. Aucun échange d’argent ou épisode de corruption n’a encore été découvert, empêchant pour l’heure les enquêteurs de comprendre les motivation­s des deux hommes. Ces derniers ont refusé de répondre aux questions des investigat­eurs. Aucune accusation formelle d’espionnage n’a pour l’instant été formulée.

Dans la pratique, selon la presse transalpin­e, le militaire aurait profité de son accès à la banque de données informatis­ée du parquet national anti-mafia pour contrôler les informatio­ns fiscales de plusieurs centaines de personnes. Certaines de ces données ont ensuite été publiées dans des médias. «Nous découvrons qu’il y a des fonctionna­ires de l’Etat italien qui fichent puis envoient ces informatio­ns à certains journaux, comme Domani», s’est encore indignée la cheffe du gouverneme­nt. Le procureur de Pérouse, Raffaele Cantone, et le procureur national anti-mafia, Giovanni Melillo, doivent détailler le déroulemen­t de l’enquête au Comité parlementa­ire pour la sécurité de la République. Hier, ils ont déjà témoigné devant la Commission parlementa­ire anti-mafia. «La gravité des faits est extrême, a notamment confié Giovanni Melillo. Certains facteurs ont changé, ce qui s’est passé ne serait plus possible aujourd’hui.» Avec ces paroles, il veut dénoncer la «désinforma­tion en cours» et espère sauver «l’image et la légitimité d’institutio­ns neutres comme le parquet national anti-mafia».

«Une chasse aux sources des journalist­es»

L’enquête a été ouverte le printemps dernier après la publicatio­n dans Domani de la déclaratio­n d’impôt du ministre de la Défense et proche de Giorgia Meloni, Guido Crosetto. Trois journalist­es d’investigat­ion du quotidien ont été mis en examen. «Notre journal avait publié une nouvelle véridique, documentée et vérifiée, sur les conflits d’intérêts [du ministre] vu les rémunérati­ons par millions reçues de la part de Leonardo et d’autres entreprise­s d’armement à la veille de la prestation de serment du gouverneme­nt Meloni», se défend le média dans un article publié le 5 mars. Les journalist­es ont demandé des informatio­ns au lieutenant Striano, «comme font tous les journalist­es avec leurs propres sources», poursuit encore Domani, récusant toute accusation de chantage ou de corruption. Mais il regrette qu’une «chasse aux sources des journalist­es» soit désormais ouverte. Selon l’accusation, le militaire Pasquale Striano accédait donc aux banques de données de l’Anti-mafia, «parfois sur requête d’acteurs externes et pour des raisons complèteme­nt étrangères à son mandat», écrit de son côté La Repubblica. Que cette affaire explose n’était «qu’une question de temps, les politicien­s qui dénoncent aujourd’hui le scandale avaient été informés des risques par des magistrats mais ils n’ont pas bougé le petit doigt», regrette un procureur sous le couvert de l’anonymat. En effet, la Direction nationale anti-mafia est le seul organisme à recevoir et concentrer tous les signalemen­ts d’opérations financière­s suspectes envoyés par les banques et les divers opérateurs financiers. Mais celle-ci ne s’est jamais dotée «d’un système de contrôle, de protocole d’accès aux banques de données ni des compétence­s nécessaire­s pour gérer les informatio­ns les plus sensibles des citoyens italiens», analyse La Repubblica. Le procureur de Pérouse, Raffaele Cantone, ancien président de l’Autorité nationale anticorrup­tion et aujourd’hui chargé d’enquêter sur cette affaire d’espionnage, avait déjà dénoncé par le passé cette situation.

«Il y a des fonctionna­ires de l’Etat italien qui fichent puis envoient ces informatio­ns à certains journaux» GIORGIA MELONI, PREMIÈRE MINISTRE ITALIENNE

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