«L’attaque de Zurich s’inscrit dans un mouvement global»
L’agression antisémite a été qualifiée de «terroriste» par les autorités zurichoises. Politologue à l’Université de Genève, Frédéric Esposito explique comment cet acte s’inscrit dans un extrémisme international
Un adolescent de 15 ans a grièvement blessé à l’arme blanche un juif orthodoxe en plein centre de Zurich samedi soir. L’agression antisémite bouleverse la Suisse et déclenche un flot de réactions politiques. Le conseiller d’Etat zurichois Mario Fehr appelle à déchoir de sa nationalité l’agresseur, un adolescent suisse de 15 ans, naturalisé et d’origine tunisienne. Elisabeth Baume-Schneider, conseillère fédérale chargée du Département fédéral de l’intérieur, s’est prononcée en faveur d’un plan d’action contre l’antisémitisme lors d’une rencontre ce mercredi avec le président de la Fédération suisse des communautés israélites, Ralph Lewin. Le Conseil national doit se prononcer jeudi sur une motion visant la mise en oeuvre d’un tel plan d’action.
Avant de passer à l’acte, l’adolescent a diffusé une vidéo, prise avec son téléphone portable, dans laquelle il fait allégeance à Daech et appelle au «combat mondial contre les juifs». En arabe, il dit vouloir s’attaquer à une synagogue, «faire du mal au plus grand nombre de juifs possible». Interview du politologue Frédéric Esposito, spécialiste du terrorisme au Global Studies Institute.
«A l’origine, «terrere» signifie «faire trembler, faire peur»: il ne s’agit pas seulement de tuer les gens mais de créer un climat de peur diffuse»
Le conseiller d’Etat zurichois Mario Fehr a dénoncé un «attentat lâche» et un «acte terroriste». Quels sont les critères pour qualifier un acte de «terroriste»? En droit international, aucune définition du mot «terrorisme» ne fait consensus. Cette définition se caractérise par une faiblesse de conceptualisation. Pour ma part, la définition que j’utilise dans mes cours fait référence à une «action violente perpétrée par un individu ou un groupe, en temps de paix plutôt qu’en temps de guerre, envers un Etat». Selon ces termes, l’action de Zurich peut être désignée comme terroriste. Dans le contexte international, il est aussi courant de qualifier les actions d’un Etat de «terroristes» dès lors qu’elles rompent avec des règles morales ou conventionnelles.
La Suisse a-t-elle été visée par une organisation terroriste? Un flou demeure: l’assaillant a-t-il revendiqué son acte au nom de Daech par opportunisme, pour lui donner une dimension supplémentaire? Ou a-t-il réellement été en lien avec un groupe terroriste? Le très jeune âge de l’individu m’interpelle. J’ai l’impression qu’il a reproduit un discours construit de toutes pièces sur les réseaux sociaux. Avec la réponse israélienne à l’attaque du Hamas du 7 octobre, nous vivons un moment de tension exacerbée. Il est alors facile de donner un sens à une action violente, de l’habiller d’une idéologie plus élaborée, alors qu’elle ne relève que de la haine du juif.
Les médias ont cité des témoins de l’arrestation de l’adolescent. Ils racontent que l’assaillant aurait ri une fois remis aux mains des forces de l’ordre. Il s’est également filmé, expliquant son acte. Comment comprendre ce comportement? Pour les terroristes, la scénarisation et la publicité de leur acte poursuivent deux buts: occuper l’espace médiatique et gagner en valeur dans leur propre groupe. Le statut de martyr est au coeur de l’islamisme terroriste. L’attaquant est d’autant plus vénéré et célébré que le nombre de morts est élevé et l’action médiatique importante. Le «spectaculaire» se trouve au coeur de la définition du terrorisme contemporain. A l’origine, terrere signifie «faire trembler, faire peur»: il ne s’agit pas seulement de tuer les gens mais de créer un climat de peur diffuse. Pour cela, l’écho médiatique est un formidable allié. Les groupes terroristes sont devenus aussi d’importants producteurs d’informations, ils ont mis en place des machines de guerre communicationnelle.
Quel est l’impact de l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre sur les risques terroristes en Suisse? Cette attaque terroriste au couteau est une synthèse d’un enjeu régional, suisse, et d’une action dite «globale». L’attaque du 7 octobre, comme les discours du Hamas, montre comment ce mouvement s’est émancipé de la cause palestinienne pour rejoindre un réseau global de la terreur. Le Hamas se positionne moins en défenseur de la cause palestinienne qu’en mouvement islamiste global.
L’agresseur a-t-il pu être inspiré par les actions du Hamas? Dans sa vidéo, le suspect a aussi évoqué les brigades des martyrs d’Al-Aqsa, l’une des milices armées de la faction palestinienne al-Fatah. Il fait ainsi un lien avec la situation actuelle au Proche-Orient.
N’a-t-on pas assez pris la mesure du risque pour la communauté juive en Suisse? La violence à l’égard de la communauté juive est récurrente, il s’agit d’une réalité statistique. Les conflits intensifient ce phénomène, d’autant plus avec le contexte tendu en Israël et la situation à Gaza. Il faut aussi noter que jusqu’à il y a peu de temps, la communauté juive en Suisse a dû assurer sa propre sécurité, sans aide étatique. L’agression de samedi a visé un juif orthodoxe, mais selon l’idéologie du terrorisme islamiste, tout un chacun est une cible potentielle.
Dans sa vidéo, l’adolescent menace de faire payer le prix des actions du Conseil fédéral, qu’il accuse de participer à la guerre contre Daech. La Suisse est-elle dans le viseur des groupes terroristes? La neutralité n’est pas un paravent. Le pays a soutenu les réactions occidentales aux attentats du 11 septembre 2001. Les groupes terroristes ne distinguent pas la Suisse d’un autre Etat. L’attentat de Luxor en 1997 a fait 37 victimes suisses, mais c’était davantage des touristes occidentaux qui étaient visés. Une attaque au couteau a fait un mort dans le canton de Vaud en 2020. Il est impossible de faire de prévision, mais le fait est le suivant: une agression au couteau à l’encontre d’un juif a eu lieu. Ce type d’événement montre notamment une européanisation du risque terroriste qui consacre une nouvelle géopolitique du terrorisme. La réalité du terrain fait écho à cette évolution avec un renforcement de la collaboration de Fedpol avec Interpol par exemple.
Comment éviter qu’un tel acte ne se reproduise? Dans le cadre démocratique actuel, il est impossible de prévenir une attaque à l’arme blanche commise par une personne encore jamais identifiée comme dangereuse. L’agression à l’arme blanche est l’outil de prédilection des groupes terroristes, car elle est difficile à prévenir.
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