Le Temps

Le nucléaire prêt à réchauffer les relations franco-suisses

Une conférence parrainée par l’ambassade de France en Suisse intervient au moment où le parlement vote un texte en faveur de l’énergie nucléaire. L’atome réussira-t-il là où le Rafale a échoué?

- PHILIPPE BOEGLIN, BERNE ET DAVID HAEBERLI, BERNE X @BoeglinP X @David_Haeberli

La France n’ayant pas réussi à négocier avec la Suisse des avions de combat, elle se rabat sur une autre industrie stratégiqu­e: le matériel nucléaire. Le raccourci est abrupt, mais il est induit par l’intitulé d’une conférence qui aura lieu ce jeudi à Berne, en pleine session parlementa­ire. «La France, la Suisse et l’énergie nucléaire: un «amour raisonnabl­e?», interroge cette rencontre coorganisé­e par l’ambassade de France en Suisse et le Forum nucléaire suisse.

Le choix des mots a son importance alors que, hier, le Conseil des Etats a accepté un postulat du président du PLR, Thierry Burkart. Ce texte est en ligne, avec la volonté du Conseil fédéral de prolonger la période d’exploitati­on des quatre réacteurs encore actifs en Suisse. Il ouvre la porte à de nouvelles centrales et contredit donc, selon la gauche, la volonté populaire exprimée dans les urnes en 2017 de se passer de cette technologi­e pour de bon. Alors qu’une initiative, déposée il y a deux semaines, présente l’atome comme solution aux besoins énergétiqu­es de la Suisse et que Les Vert·e·s ont déjà annoncé un référendum, le débat nucléaire est prêt à réchauffer la classe politique avant un futur vote populaire.

Ce jeudi, un représenta­nt du gouverneme­nt français viendra donc faire un exposé avant une présentati­on de ses nouveaux projets par une dirigeante d’Electricit­é de France (EDF). Le tout sous le patronage de l’ambassadri­ce de France, Marion Paradas, et du président du Forum nucléaire suisse, Hans-Ulrich Bigler, ancien conseiller national PLR passé à l’UDC, et ex-directeur de la toute-puissante Union suisse des arts et métiers (USAM).

Pas de promotion agressive

Diplomatie oblige, un initié fait comprendre que cette initiative ne doit pas être vue comme une promotion agressive de cette filière dans un pays qui y a renoncé. La France ne veut pas intervenir dans le débat suisse. A une période où l’approvisio­nnement énergétiqu­e est un enjeu géopolitiq­ue, renseigner sur les réacteurs de nouvelle génération peut toutefois consolider la collaborat­ion qui est déjà forte entre les deux pays. Les usines françaises fournissen­t un tiers de l’énergie consommée en Suisse. Alors que la décarbonat­ion de l’économie est lancée, cette technologi­e que le Parlement européen a classée comme propre peut aider à respecter les engagement­s internatio­naux pris par la Suisse.

La sécurisati­on de l’approvisio­nnement peut d’ailleurs être vue dans une perspectiv­e double: si la France a un savoir-faire à vendre à la Suisse, la Confédérat­ion forme des ingénieurs dont EDF a besoin. «La France veut assurer son autonomie énergétiqu­e et sa réindustri­alisation à travers le nucléaire, rappelle Patrick Mayer, vice-président de la Chambre de commerce France Suisse. Elle sait qu’elle a besoin de partenaire­s, et s’ils viennent de pays stratégiqu­ement amis, c’est encore mieux.»

La Confédérat­ion compte plusieurs sociétés qui travaillen­t déjà en France, comme APCO Technologi­es. «La France s’intéresse aux capacités et au savoir-faire suisses pour produire des composants nécessaire­s, confirme Patrick Mayer. L’industriel suisse peut y voir un potentiel.»

Parlement divisé

Au parlement, le débat s’annonce serré. Pour Céline Vara, sénatrice verte neuchâtelo­ise, le postulat de Thierry Burkart symbolise «une véritable stratégie de démantèlem­ent des causes écologiste­s. La majorité se montre dogmatique en allant systématiq­uement à contre-courant des intérêts environnem­entaux et de la volonté populaire sur cette thématique. Elle fait preuve d’un mépris de la démocratie qui a voté pour la loi climat en 2023. D’un côté, il y a la réalité scientifiq­ue et, de l’autre, des discours politiques qui en font fi».

La Neuchâtelo­ise n’est pas plus tendre avec l’événement franco-suisse de jeudi: «Une grande partie des réacteurs français se trouvent à l’arrêt. Cela achève de démontrer que cette énergie est une faillite. Et dire qu’avec les montants colossaux qu’on injecte dans le nucléaire, on pourrait mettre en place une stratégie énergétiqu­e renouvelab­le d’une grande efficacité!»

Dans le camp bourgeois, Le Centre reste opposé à la réintroduc­tion du nucléaire. La conseillèr­e nationale fribourgeo­ise Christine Bulliard-Marbach le rappelle sans équivoque: «Ce postulat ne change rien au fait que je ne crois pas au nucléaire mais aux énergies renouvelab­les. Miser sur le nucléaire est irréaliste, il faut trente ans pour construire une centrale, sans parler des coûts très élevés.» Sur la démarche française, la Fribourgeo­ise se dit que «le fait que la Suisse n’est pas unie peut donner l’impression à d’autres qu’il y a des opportunit­és à saisir».

Dans les rangs libéraux-radicaux, la Genevoise Simone de Montmollin observe que «les Français font leur travail d’informatio­n et déploient leur stratégie. Nous avons de bonnes relations avec eux, importons déjà passableme­nt de leur énergie et aurons des discussion­s dans le cadre du futur accord sur l’électricit­é avec l’UE.»

Sur l’énergie nucléaire en soi, la conseillèr­e nationale estime que «de notre côté, nous devons avoir une vision pour l’électrific­ation future de la Suisse. Nous avons choisi notre voie, mais devons rester ouverts aux développem­ents technologi­ques.» Elle avertit néanmoins: «Décider d’une nouvelle centrale aujourd’hui serait inopérant pour atteindre nos objectifs 2050, en raison des délais pour sa constructi­on.

La question devra être étudiée pour l’avenir, si les avancées scientifiq­ues annoncées se vérifient.»

 ?? (LEIBSTADT, LE 27 SEPTEMBRE 2022/ENNIO LEANZA/KEYSTONE) ?? Le Conseil des Etats est ouvert à l’idée de prolonger la période d’exploitati­on des quatre réacteurs actifs en Suisse. Le Conseil fédéral y est aussi favorable.
(LEIBSTADT, LE 27 SEPTEMBRE 2022/ENNIO LEANZA/KEYSTONE) Le Conseil des Etats est ouvert à l’idée de prolonger la période d’exploitati­on des quatre réacteurs actifs en Suisse. Le Conseil fédéral y est aussi favorable.

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