Une révolution débute dans nos téléphones
L’entrée en vigueur du Digital Markets Act européen introduit une nouvelle concurrence sur les plateformes détenues par Google et Apple, notamment. Petit à petit, de nouvelles possibilités s’offriront aux consommateurs
Une «révolution», pour reprendre l’expression favorite d’Apple lorsque la multinationale présente ses nouveaux produits? Oui. C’est bien un bouleversement qui s’amorce aujourd’hui dans nos téléphones, avec l’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA). Ce règlement européen (en français «législation sur les marchés numériques») va modifier profondément les pratiques de Google, Microsoft ou encore Apple, affectant directement des millions de consommateurs. Le sujet est vaste, complexe et évolue rapidement. Voici cinq points pour saisir l’essentiel de ces bouleversements qui dépassent le cadre européen.
1 est le but de ce règlement?
Insuffler de la concurrence là où les géants de la tech tentent, souvent avec succès, de l’étouffer. L’idée est d’empêcher certaines plateformes, appelées «contrôleurs d’accès», de favoriser leurs services uniquement. L’UE veut laisser d’autres acteurs – petits ou grands – avoir une chance d’émerger. Deux exemples rapides: Apple devra laisser d’autres magasins d’applications émerger en parallèle de son App Store, Google devra moins mettre en avant des services comme Maps ou Shopping sous ses résultats de recherche.
2 Quelles sont les entreprises concernées?
Les détenteurs de plateformes (services en ligne, sites d’e-commerce ou systèmes d’exploitation) qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs dans l’Union européenne. Ces entreprises doivent réaliser un chiffre d’affaires moyen minimum de 7,5 milliards d’euros et posséder une capitalisation boursière de plus de 75 milliards. Voici la liste: Alphabet (Google), Apple, Meta (Facebook notamment), Microsoft, ByteDance (éditeur de TikTok) et Amazon. En cas d’infraction, ces géants pourraient recevoir des amendes d’un montant équivalent à 10% de leur chiffre d’affaires global, voire 20% en cas de récidive. Mais on est encore très loin de ces étapes.
3 Concrètement, qu’est-ce qui change?
Enormément de choses. Commençons par Apple qui, pour être en conformité avec le DMA, propose depuis mardi soir la version 17.4 de son système iOS pour iPhone. Apple devra autoriser beaucoup de nouveautés: permettre à d’autres magasins d’applications d’émerger (seul Google l’autorisait sur son système Android), donner le choix aux utilisateurs d’employer d’autres navigateurs web que Safari en leur présentant des alternatives, ou encore permettre à d’autres systèmes de paiement (comme Twint) d’utiliser sa puce NFC pour les paiements sans contact.
Google, lui, a aussi du travail: il doit proposer d’autres navigateurs que Chrome sur le système Android et d’autres moteurs de recherche que le sien dans Chrome. Lorsqu’il affiche des résultats de recherche, Google doit s’ouvrir à la concurrence: il doit présenter davantage de sites tiers et mettre moins en évidence Maps, tout en supprimant certaines fonctions. La multinationale doit aussi permettre à l’utilisateur d’empêcher le partage de données entre YouTube, Chrome ou encore Maps.
Du côté de Meta, l’utilisateur pourra s’inscrire à Facebook et Instagram par exemple de manière séparée. Une autre nouveauté majeure est attendue: la possibilité, pour les fans de WhatsApp, de communiquer avec d’autres messageries.
Les changements demandés aux autres géants seront a priori moins visibles pour les consommateurs. Microsoft devra aussi supprimer des liens directs entre son navigateur web Edge et son moteur de recherche Bing, Amazon devra offrir davantage d’informations aux annonceurs et vendeurs (et moins les marginaliser par rapport à ses propres offres) et il devra être possible de transférer certaines données de TikTok vers d’autres réseaux sociaux.
4 N’y a-t-il que du positif ?
A priori oui, davantage de concurrence sur des plateformes qui privilégient au maximum leurs propres services ne peut être que positif pour les consommateurs. Mais il y a des interrogations. Prenons un argument d’Apple: la société affirme que l’arrivée d’autres magasins d’applications est un risque, car la sécurité de ces apps sera moins contrôlée. C’est possible, mais pas certain. A vérifier ces prochains mois, lorsque des sociétés comme Mobivention ou Epic se seront lancées.
5 Comment réagissent les géants visés?
De deux manières. D’un côté, certains tentent de gagner un maximum de temps pour mettre en place le plus tard possible ces modifications. On ne connaît d’ailleurs pas encore les détails pour quelques services. En parallèle, l’éditeur de TikTok conteste toujours auprès de l’Union européenne qu’il est un «contrôleur d’accès».
D’un autre côté, la plupart de ces changements sont effectués à contrecoeur, et c’est un euphémisme. Prenons Apple: la société proposera aux développeurs d’applications soit de rester sur son App Store de manière exclusive (en payant une commission de 15 à 30% sur les achats et abonnements), soit d’aller sur des magasins alternatifs. Mais sur ceux-là aussi, il y aura une commission de 10 à 20%, plus une sorte de taxe de 50 centimes d’euro par an et par utilisateur pour les apps les plus populaires. Spotify parle carrément d’«extorsion».
Des exemples de ce type, il y en a plusieurs. Les géants de la tech savent qu’il y a une marge d’interprétation importante dans le DMA et jouent dessus.
6 La Suisse est-elle concernée?
En général, tous les changements demandés aux géants de la tech par l’Union européenne sont répercutés par ces derniers en Suisse. Ce sera donc sans doute progressivement le cas. Pour l’heure, ces modifications sont très peu visibles. Au niveau législatif, la Suisse ne prévoit pas de créer une loi miroir au DMA. Le Parti socialiste avait demandé au Conseil fédéral de légiférer en ce sens, le gouvernement l’a récemment refusé.
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