Il y a toujours une alternative, même dans le numérique
«Il n’y a pas d’alternative.» Qui s’intéresse aux enjeux du numérique a déjà entendu cette sentence un nombre incalculable de fois. Elle fait référence aux produits et services commercialisés par les géants américains de la tech. Google, Amazon, Meta (ex-Facebook), Apple ou encore Microsoft seraient les seules entreprises à même de fournir les bons outils pour garantir une numérisation ambitieuse.
Ce discours enchante bien évidemment ses premiers bénéficiaires. Les géants américains font tout pour verrouiller les écosystèmes technologiques qu’ils développent et avoir la mainmise sur les précieuses données qui sont traitées. L’objectif est évidemment rationnel sur le plan économique: les entreprises ont tout intérêt à faire en sorte que leurs clients dépendent d’elles. Le problème, c’est lorsque les autorités finissent par adopter ce narratif pour justifier leurs propres choix technologiques.
La Confédération a une longue expérience dans ce domaine. L’administration fédérale va basculer sa suite bureautique chez Microsoft 365, le service d’infrastructure à la demande du mastodonte américain. Cela bien que le préposé fédéral à la protection des données ait mis en garde les autorités sur ce choix qui peut représenter un risque pour les secrets de l’administration. Les autorités se veulent malgré tout rassurantes: la décision a été prise faute de mieux, mais elle fera son possible pour changer son fusil d’épaule à l’avenir. Ces explications doivent être prises pour ce qu’elles sont: un aveu de faiblesse. La politique consiste à faire des choix. Il y a toujours une alternative pour qui s’en donne les moyens. Mais cela suppose de la volonté, et une certaine capacité d’adaptation. Le Tribunal fédéral, aussi surprenant que cela puisse paraître, en est le parfait exemple.
La plus haute autorité judiciaire a pris la décision de construire son environnement informatique en se passant des géants américains. Le chef du service informatique de l’institution ne s’en cache pas: c’est parfois compliqué, car cela pose des problèmes de compatibilité avec certains logiciels utilisés par la Confédération. Mais cela représente aussi le meilleur moyen de garantir la pérennité de l’information, un critère essentiel pour le Tribunal fédéral, qui statue chaque jour sur des affaires dont l’issue repose sur l’examen de décisions passées.
Preuve est faite qu’avec de la volonté il y a des chemins différents qui peuvent être explorés. La pandémie a révélé que la dépendance à un petit nombre d’acteurs sur le plan de l’approvisionnement pouvait être un problème majeur pour un Etat. Cette prise de conscience ne semble pas avoir eu lieu s’agissant du numérique. Pourtant, maîtriser les technologies de l’information est aujourd’hui aussi important pour la survie d’un Etat que le contrôle de ses frontières. Le Tribunal fédéral trace la voie, et la Confédération ferait bien de s’en inspirer.
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