Chercheurs du futur et vestiges d’opéra
Dans «Ars Nova», donné à Saint-Gervais, sa première pièce collective, Romain Daroles parle d’art et de mémoire. Lunaire et poétique, le spectacle est trop court et trop illustratif
Romain Daroles est un poète du plateau. Un conteur d’une telle présence et d’une telle intelligence de jeu qu’il fait naître un monde par sa seule parole. Ce fut le cas dans Phèdre!, revisitation brillante de la tragédie racinienne par François Gremaud. Un succès fou qui, depuis sa création en 2018, comptabilise plus de 500 représentations.
Ce fut de nouveau le cas dans Vita Nova, vu au far° Festival des arts vivants, à Nyon, où Romain Daroles partait à la découverte d’oeuvres littéraires perdues, sur les traces d’un certain Louis Poirier. Là aussi un petit bijou, sensible et imagé.
A Saint-Gervais, jusqu’au 10 mars, le comédien poursuit sa quête entre art et mémoire en montrant des scientifiques du futur qui, explorant les traces d’un passé pré-apocalyptique, découvrent des vestiges d’opéra dans un volcan en fusion et tombent en émoi devant ces sons. Voici pour les intentions d’Ars Nova. Le problème, c’est que ce pitch de présentation résume exactement ce qu’on voit.
Volcan en fusion
Dans un magnifique décor de Mélissa Rouvinet, où une tente orange émerge d’une mer de monticules volcaniques, Mathias Brossard, Marion Chabloz, Romain Daroles et François-Xavier Rouyer, en combinaison blanche, interrogent les roches sombres et fumantes grâce à un appareillage rétrofuturiste, type détecteur à métaux ou sonde sonore.
Après avoir observé longuement les moindres manifestations de ce paysage mystérieux, une mini-éruption – un monticule rempli d’eau bouillonnante et fumante – libère des airs d’opéra que les scientifiques s’empressent de collecter. Le moment est beau, poétique et poignant, mais il arrive après une longue exposition qui, à l’exception d’un chien robot furetant parmi les monticules, manque de mordant.
Dans le sillage de Philippe Quesne
Bien sûr, on saisit que Romain Daroles s’inscrit dans le sillage de Philippe Quesne, metteur en scène écologiste qui, depuis le début des années 2000, pratique un théâtre énigmatique, posant la question du sensible et du vivant à travers des actions minimales et une attention soutenue à la nature et au détail. Il y a, de fait, une vraie pertinence dans cette approche qui questionne la juste place de l’humain dans un environnement qu’il a asservi et qui, maintenant, le lui rend bien.
Mais, dans sa première partie, Ars Nova n’a pas assez de force, de puissance pour que l’on soit amené à se poser ce type de questions. Et le minimalisme de Romain Daroles et de son équipe artistique, loin de nous intriguer, nous laisse plutôt sur notre faim. Comme s’il manquait une dialectique interne, une tension.
La joie de la voix
Restent la beauté du dispositif qui, entre souffle et fumées, emmène le public dans une autre dimension et, surtout, ce moment à la fois joyeux et poignant où, de Richard Strauss à Richard Wagner, en passant par Verdi, Puccini et Monteverdi, les extraits d’opéra emplissent la salle et le coeur des chercheurs.
Une jolie astuce veut que chaque scientifique ait son air identitaire. Jusqu’au robot chien qui a sa patte à lui, plus populaire. Pourquoi ne pas arriver plus vite à cette récolte et montrer ensuite, dans une troisième partie, comment les scientifiques gèrent ou s’approprient ce capital artistique? Là, on creuserait vraiment le sillon entre art et histoire.
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Ars Nova, Théâtre Saint-Gervais, Genève, jusqu’au 10 mars