Le Temps

Changer de focale pour préciser l’objectif

- CÉLIA HÉRON X @celiaheron

Dézoomer a du bon pour élargir son horizon. Voilà l’exercice que nous vous proposons en cette Journée internatio­nale des droits des femmes. Partout, de Washington à Téhéran, en passant par Séoul ou Paris, les femmes se battent pour leurs droits, leurs libertés, leurs diplômes, leurs revenus, leurs emplois. Elles brisent les plafonds et forcent les portes. Certes, ces portes ne sont pas les mêmes dans chaque région du monde, et toutes n’ont pas le même poids. Dire cela, c’est enfoncer une porte ouverte. L’essentiel est de se faire entendre jusqu’à ce que plus aucune ne leur soit claquée au visage.

Quelle donne a changé en 2024? A peine la révolution #MeToo portait-elle ses fruits que déjà planait l’ombre du retour de bâton. Disqualifi­er les revendicat­ions féministes semble galvaniser certains mouvements réactionna­ires, parfois représenté­s par… des femmes. En parallèle, les études d’opinion dans plusieurs pays montrent un fossé grandissan­t entre des jeunes femmes progressis­tes et des jeunes hommes conservate­urs. Peut-être le moment est-il venu d’interroger la méthode.

L’enjeu des années à venir, plus que jamais, consistera à démontrer que les droits des femmes à vivre libres, à n’être ni harcelées, ni mutilées, ni violées, ni assassinée­s dans leur propre foyer, ne s’acquièrent pas au détriment de ceux des autres, mais que tout le monde y gagne. Pour une raison simple, chère à l’avocate Gisèle Halimi: la violence, où qu’elle s’enracine et quelle que soit sa nature, «déshumanis­e autant le bourreau que la victime».

Une conscience plus fine de nos multiples liens et interdépen­dances pourrait y participer. Entre femmes de tous bords avec l’avènement d’une sororité qui, si elle n’est certes pas nouvelle, a été renforcée par #MeToo. Entre hommes et femmes, ensuite, avec l’engagement déterminan­t de ces messieurs dans les luttes féministes ces dernières années, de Téhéran à Mexico. Entre génération­s, dont l’inscriptio­n de l’IVG dans la Constituti­on française cette semaine est un

Partout, les femmes se battent

exemple exceptionn­el. Enfin, entre pays et continents, chaque événement impactant en temps réel tous les autres à la vitesse d’une connexion internet.

Les médias aussi sont liés, et portent une responsabi­lité en la matière. A l’invitation du consortium internatio­nal de journalism­e Towards Equality, Le Temps rejoint 15 titres de référence pour mettre en avant d’autres regards sur l’égalité, dont vous retrouvere­z les contenus traduits dans nos pages et sur notre site web. «Je ne suis pas libre tant qu’une femme reste prisonnièr­e, même si ses chaînes sont différente­s des miennes», écrivait Audre Lorde en 1981. Par ces mots, l’essayiste afro-américaine nous encouragea­it à penser au-delà de nos situations individuel­les, aussi confortabl­es soient-elles. Elle théorisait déjà la plus marquante des interconne­xions: celle du continuum de violences sexistes et sexuelles à travers l’Histoire, qui n’a jamais été aussi bien documenté. Voilà le changement de focale qui nous permettra, ensemble, de préciser l’objectif.

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