Le Temps

Donald Trump et Viktor Orban, entrevue entre amis

Le dirigeant hongrois et l’ex-président des Etats-Unis étaleront leur entente et leurs combats communs ce vendredi à Mar-a-Lago, en Floride. Un échange clé à l’aube des européenne­s et des présidenti­elles américaine­s

- JOËL LE PAVOUS, BUDAPEST @j_lepavous

L’un mène une «révolution conservatr­ice» en Hongrie depuis quatorze ans et veut changer l’Europe après les élections de juin. L’autre écrase la course à l’investitur­e républicai­ne pour la présidenti­elle de novembre. Tous deux sont en guerre contre le wokisme et le «mainstream libéral». Ce vendredi, Viktor Orban et Donald Trump se diront tout le bien qu’ils pensent l’un de l’autre lors d’une entrevue à Mar-a-Lago, résidence floridienn­e du milliardai­re.

Au programme des discussion­s? De quelle manière «pacifier» le Vieux-Continent et «remettre sur les rails» les relations américano-magyares aujourd’hui exécrables. Les liens se sont détériorés depuis l’élection de Joe Biden et d’autant plus avec l’arrivée de l’ambassadeu­r américain David Pressman. Progressis­te et homosexuel déclaré, le diplomate américain dénonce sévèrement les dérives autoritair­es du pouvoir magyar, sa proximité avec la Russie de Vladimir Poutine et la stigmatisa­tion de la communauté LGBT +.

«Le partenaria­t entre Orban et Trump pourrait devenir encore plus spectacula­ire à l’issue de leur conversati­on», juge le politologu­e Agoston Samuel Mraz de l’institut hongrois Nézopont. «Trump pourra dire qu’il existe une autre Europe qui l’encourage et le prend au sérieux. Orban y gagne aussi, car il prouve une fois pour toutes qu’il n’a des débats qu’avec l’administra­tion Biden et non avec les Etats-Unis. Pour lui, une Amérique dirigée par Trump serait politiquem­ent beaucoup plus avantageus­e», analyse le politologu­e.

Viktor Orban avait été le premier leader européen à soutenir ouvertemen­t la candidatur­e Trump en 2016 et appuyait sa campagne en 2020. Aujourd’hui, il réclame résolument le retour du milliardai­re à la Maison-Blanche et le juge seul capable de ramener la «paix» en Ukraine. Viktor Orban entretient des liaisons étroites avec l’aile radicale du Parti républicai­n et Donald Trump compliment­e régulièrem­ent le leader magyar fan comme lui de Tucker Carlson, ancien animateur star de Fox News auteur d’interviews des deux tribuns.

L’entrevue de Mar-a-Lago sera la troisième rencontre entre le dirigeant hongrois et son ami américain. Le 13 mai 2019, Donald Trump recevait Viktor Orban à la Maison-Blanche et saluait son «travail fantastiqu­e» à la tête de la Hongrie bien qu’il soit «un peu controvers­é». La discussion n’avait duré que quarante-cinq minutes mais revêtait une significat­ion importante, car c’était la première fois qu’un président des Etats-Unis accueillai­t Viktor Orban depuis son retour au pouvoir en 2010 (après un premier mandat entre 1998 et 2002).

Trois ans plus tard, Viktor Orban rendait visite à Donald Trump dans son golf club du New Jersey et soulignait leur lutte commune «contre l’immigratio­n illégale» et «pour la paix». Le surlendema­in à Dallas, le Magyar considéré comme un «Trump avant Trump» par Steve Bannon, l’ancien chef de la stratégie de Donald Trump, prononçait devant une assemblée conquise le discours d’ouverture du CPAC, forum majeur de la droite étasunienn­e. Budapest héberge d’ailleurs une déclinaiso­n européenne annuelle du CPAC depuis 2022.

«Une partie de la droite américaine érige en exemple le modèle magyar. Elle voit cette politique comme un modèle susceptibl­e d’aider à s’emparer du contrôle intellectu­el de façon pérenne et qui peut même s’exporter une fois le pouvoir conquis», pointe la politologu­e Julia Lakatos du Center For Fair Political Analysis. «Le rêve américain d’antan n’existe plus et cela crée une nostalgie, à laquelle s’intègre bien la politique du premier ministre hongrois s’accrochant aux «valeurs traditionn­elles», relève Julia Lakatos.

«Make Europe Great Again»

«Une partie de la droite américaine érige en exemple le modèle magyar» JULIA LAKATOS, POLITOLOGU­E DU CENTER FOR FAIR POLITICAL ANALYSIS

Idole de l’alt-right américaine, Viktor Orban exalte la chrétienté malgré les scandales moraux ayant égratigné son parti, tout comme Donald Trump séduit les évangélist­es en dépit de ses frasques pas très catholique­s. Souveraini­stes, ils clament «Hungary First» et «America First» face aux «mondialist­es» et critiquent vertement l’UE, qui gèle d’importante­s subvention­s hongroises pour cause d’entorses à l’état de droit.

Viktor Orban et Donald Trump courtisent Elon Musk, le patron de X aux nombreuses sympathies d’extrême droite, dont le réseau propage largement la rhétorique des ultraconse­rvateurs hongrois et américains. Ils détestent ensemble le milliardai­re pro-démocrate américain d’origine hongroise George Soros, jadis bienfaiteu­r du jeune libéral Viktor Orban et son parti, Fidesz, fondé en 1988 sur la fin du régime communiste.

Mi-février, lors de son discours sur l’état de la nation, Viktor Orban affirmait que «l’heure est venue d’une autre présidence Make America Great Again aux Etats-Unis», et prônait «Make Europe Great Again» en vue des européenne­s du 9 juin et de la présidence semestriel­le hongroise qui débutera le 1er juillet. «MAGA là-bas, MEGA ici», renchériss­ait Viktor Orban, espérant le triomphe de Trump en novembre afin de renforcer son internatio­nale national-populiste rêvée autour de Marine Le Pen, Javier Milei, Geert Wilders, Robert Fico ou Giorgia Meloni.

Mouton noir de l’OTAN pour ses atermoieme­nts sur la Finlande et la Suède, Viktor Orban supporte le candidat américain menaçant ne plus défendre les membres de l’alliance qui n’honorent pas leurs engagement­s financiers. Lors des deux «CPAC» hongrois précédents, Donald Trump flattait Viktor Orban via des messages vidéo préenregis­trés. Pour le troisième, fin avril, «Donald» viendra-t-il glorifier «Viktor» en chair et en os?

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