Le Temps

«C’est un canton aux soins intensifs qui accueille une commune aux soins palliatifs»

Un unique point rouge sur un tableau vert. Mercredi, alors que le parlement jurassien plébiscita­it le concordat réglant le changement d’appartenan­ce cantonale de Moutier, l’UDC Yves Gigon a refroidi la salle en étant seul à le refuser. Il s’en explique

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE STEINER @alexanstei­n

Il a cassé l’ambiance, Yves Gigon, au moment où le parlement jurassien se préparait solennelle­ment à accepter le concordat intercanto­nal réglant le transfert de Moutier dans le Jura. Malgré des appels à l’unanimité, le truculent député UDC de Courgenay – qui avait claqué la porte du PDC en 2018 – est le seul à avoir voté non mercredi, après avoir déclaré que le processus en cours mènerait le Jura à une catastroph­e financière et ne ferait que des perdants. «C’est un canton aux soins intensifs qui accueille une commune aux soins palliatifs», a-t-il imagé.

«Est-on prêt à augmenter la quotité d’impôts pour accueillir Moutier? Moi pas»

Pourquoi avez-vous pris la parole avec tant de véhémence? Parce que je sais que je ne suis de loin pas le seul Jurassien à penser ce que j’ai dit hier, mais personne n’ose s’afficher. Et le vote du parlement

(57 oui, 1 non, 2 abstention­s) ne reflète pas l’avis d’un certain pourcentag­e de la population qui est opposée à la venue de Moutier dans le Jura. On le constatera d’ailleurs le 22 septembre lorsque ce sera au peuple de se prononcer sur le concordat. Je doute qu’un oui à 95% – comme au parlement – sorte des urnes. J’ai été dur dans mes propos, mais il fallait que quelqu’un le dise. Comment expliquer que si peu d’avis contraires s’expriment publiqueme­nt, alors qu’en coulisses on entend régulièrem­ent que l’arrivée de Moutier suscite de l’inquiétude dans certains districts ou communes? Les gens sont muselés et n’osent pas dire ce qu’ils pensent. Si on dit qu’on est contre la venue de Moutier pour des raisons financière­s, on se fait traiter de pro-bernois. Je suis un pur Ajoulot, un pro-jurassien issu d’une famille pro-jurassienn­e, mais je ne suis pas d’accord avec ce qu’il se passe. Avec le développem­ent de l’axe Delémont-Moutier-Bienne, je crains aussi que l’Ajoie et les Franches-Montagnes ne soient oubliées. Cela me fait mal au coeur.

En quoi l’arrivée de Moutier ne ferait que des perdants? Parce que cela va coûter extrêmemen­t cher, mais le Gouverneme­nt ne nous a jamais dit exactement combien et j’attends qu’il le fasse rapidement. On sait que le processus de transfert est estimé à 13 millions de francs, et après? Le canton a promis une centaine d’emplois publics dans une ville de 7000 habitants, alors qu’on essaie péniblemen­t d’en supprimer ailleurs pour économiser. Il y aura aussi de nouvelles prestation­s et des questions vont se poser sur une nouvelle répartitio­n de la péréquatio­n financière. Le canton du Jura racle déjà les fonds de tiroirs dans sa forme actuelle. Est-on prêt à augmenter la quotité d’impôts pour accueillir Moutier? Moi pas.

Pour vous, le parlement affiche une unanimité de façade jusqu’à ce que le transfert soit effectif? Oui. Et au-delà de ça, c’est terrible de penser que ce concordat va régler la Question jurassienn­e. Aucun mouvement de lutte jurassien n’a annoncé sa dissolutio­n, et je suis sûr que le combat va reprendre rapidement pour Belprahon [commune voisine de Moutier qui a dit non au Jura pour 7 voix]. Il n’y a qu’à entendre le député CS-POP Christophe Schaffter évoquer cette commune en adressant ses pensées «aux oubliés du concordat». Le même cirque va recommence­r et on en a tous marre. Encore une fois, c’est un gros Jurassien qui vous le dit!

Sur les réseaux, certains s’offusquent de votre attitude. Quelles réactions sont parvenues jusqu’à vous? Il y a eu de tout. Certains m’ont dit: «Merci, t’as du courage d’exprimer ce que d’autres n’osent pas dire.» D’autres m’ont reproché d’avoir usé de mots trop durs. Mais sur le fond de mon interventi­on, j’ai reçu peu de critiques.

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