«Contraindre les médecins à utiliser le dossier électronique risque de renforcer le scepticisme»
A Berne, les débats se transforment en bras de fer. Doit-on obliger le corps médical à utiliser l’outil dans l’urgence? Le point avec Philippe Eggimann, vice-président de la FMH, la faîtière des médecins
Le financement transitoire de 30 millions de francs pour encourager l’ouverture de dossiers électroniques du patient (DEP) génère des débats animés au parlement. Les conseillers nationaux sont prêts à accepter cette rallonge si les cabinets médicaux du pays sont contraints de s’y connecter. Une obligation prévue, mais qui devra être discutée dans la future révision complète de la loi sur le DEP. En forçant la main aux médecins de manière précipitée, le risque est de les braquer définitivement sur le sujet. Philippe Eggimann, vice-président de la FMH, estime que la méthode est contreproductive.
Au parlement, les débats sur la rallonge de 30 millions de francs pour le dossier électronique du patient (DEP) exercent une forte pression sur les médecins. Obliger les cabinets médicaux à en ouvrir un rapidement est-ce si catastrophique que ça? Le corps médical est actif dans les efforts de numérisation depuis des décennies. Malheureusement, le DEP tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas adapté à la pratique médicale. C’est fort de ce constat unanime que le Conseil fédéral a mis en consultation une révision complète de la LDEP en 2023.
L’obligation en tant que telle n’est pas une catastrophe, mais forcer ainsi les médecins avec des contrôles et des amendes, pour tenter de sauver le bateau DEP, est illusoire. Cela risque même de renforcer le scepticisme vis-à-vis du DEP. L’urgence est de permettre l’interconnexion sécurisée des systèmes informatiques existants utilisés depuis longtemps par tous les prestataires. C’est dans ce domaine qu’un investissement urgent aurait du sens.
Si le Conseil des Etats impose cette obligation mardi prochain, les médecins qui n’obtempèrent pas pourront être amendés, à hauteur de
500 francs. Il n’est plus temps de parler de problèmes techniques… C’est pourtant le coeur du problème, que de nombreux parlementaires ne veulent pas voir. Plutôt que de tirer les leçons de l’échec DEP et de tenir compte des propositions faites par les médecins et les autres prestataires dans le cadre de la révision de la loi sur le DEP, le Conseil national augmente la pression.
Ces mesures, si elles sont adoptées, ne permettront malheureusement pas de corriger les erreurs conceptuelles dont souffre le DEP. En augmentant la charge administrative, elles risquent même paradoxalement de renforcer les effets de la pénurie en réduisant encore le temps disponible pour les patients.
Face à cette contrainte, comment vont réagir les médecins selon vous? Les cabinets vont se connecter, pour éviter les sanctions, mais sans garantie qu’ils utiliseront le DEP. La révision de la LDEP est pourtant une opportunité comme celle de la stratégie Digisanté en cours d’adoption. C’est dans ce cadre que le corps médical et les autres prestataires du système de santé espèrent que le Conseil fédéral et le parlement tiennent enfin compte de leurs propositions.
Au risque de le répéter, les différents logiciels utilisés actuellement par les médecins offrent tous des fonctionnalités qui vont bien au-delà du simple stockage d’informations médicales tel que voulu par le DEP: rédaction (semi-) automatique de courriers, analyse des interactions médicamenteuses, agenda, stockage d’informations de contact, de facturation, etc.
C’est dans ce contexte qu’il faut développer les possibilités d’intégration et d’interconnexion. Il est d’ailleurs surprenant que l’expertise et les compétences des écoles polytechniques fédérales, des universités et des HES n’aient à ce jour pas été intégrées dans ces développements.
«Malheureusement, le DEP tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas adapté à la pratique médicale»
Il y a aussi la question du secret médical qui n’est pas réglée… Potentiellement oui, une telle obligation précipitée est de nature à compromettre le secret médical. Les médecins devront demander à chaque fois le consentement explicite de leur patient pour pouvoir téléverser des documents dans leur DEP. Sans même parler de la durée et de l’extension du consentement… Il est valable combien de temps, le consentement?
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