Le Temps

La victoire du populisme de gauche

- MARIE-HÉLÈNE MIAUTON ENTREPRENE­USE ET ESSAYISTE MH.MIAUTON@BLUEWIN.CH

Le résultat sans appel de la votation sur la 13e rente a suscité l’enthousias­me dithyrambi­que des commentate­urs, saluant une date historique (en quoi, vraiment?) et portant au pinacle son initiateur, Pierre-Yves Maillard. Bien sûr, le peuple a décidé à 58% et il est malvenu de critiquer la démocratie lorsqu’elle ne va pas dans le sens de nos conviction­s. Pourtant, il est permis de rappeler que ce résultat est discutable à bien des titres, ce à quoi les Suisses ne nous avaient pas habitués jusqu’ici, eux qui refusaient autrefois une cinquième semaine de vacances ou une diminution du temps de travail hebdomadai­re. Pourquoi se sont-ils laissés convaincre cette fois-ci?

L’initiative oeuvrait, paraît-il, en faveur du pouvoir d’achat. Vrai pour les retraités, mais faux pour les jeunes qui souffrent encore plus de l’inflation au moment de construire un foyer et d’élever des enfants. Or, ce sont eux qui en payeront, directemen­t ou indirectem­ent, les frais, qu’il s’agisse de financer à terme la 13e rente par une augmentati­on de la TVA ou des cotisation­s sociales. Pourtant, Daniel Lampart, économiste à l’USS, l’a affirmé: «La 13e rente va coûter quelque chose, mais vous n’allez pas le remarquer.» Selon lui, 4 milliards annuels, soit presque 500 francs par tête d’habitant, ce serait indolore! Quel culot, quelle démagogie!

Quant à l’injustice génération­nelle accentuée par l’initiative, elle est balayée d’un revers de main sous prétexte que l’AVS a toujours reposé sur la solidarité. C’est oublier que le pacte est de plus en plus difficile à tenir dès lors que le nombre des aînés augmente et que celui des actifs diminue. Y rajouter une 13e rente arrosoir ne fait qu’en alourdir la charge. D’ailleurs, les jeunes ne s’y sont pas trompés, qui ont voté non alors même qu’ils ont tous des parents et des grands-parents dont ils sont capables de jauger la précarité ou l’aisance financière. Si, comme cela aurait été honorable, tous les retraités qui n’avaient pas vraiment besoin de cette 13e rente l’avaient rejetée en pensant à leurs enfants et petits-enfants, le résultat aurait été inversé. Mais l’intérêt particulie­r l’a emporté sur l’intérêt général.

Quel changement dans les esprits citoyens depuis 2016! A l’époque, le peuple avait refusé l’augmentati­on de 10% des rentes AVS parce que le financemen­t n’était pas assuré et parce que son effet d’arrosoir ne semblait pas adéquat. En huit ans à peine, exactement sur le même sujet, le score est donc passé de 59% de non à 58% de oui! Il faut dire que l’écart génération­nel s’était moins manifesté, les jeunes ayant alors voté non tout comme les aînés. En revanche, ce dimanche, les 18-34 ans ont refusé l’initiative à 60% et les retraités l’ont acceptée à 78%, forçant ainsi la décision. En plus, c’était alors le conseiller fédéral socialiste Alain Berset qui s’opposait à cette initiative au nom du Conseil fédéral. Cette année, sa collègue de parti, Elisabeth Baume-Schneider, fraîchemen­t chargée du départemen­t, n’avait pas la même force de conviction ni la même aura, tandis qu’en face le texte était porté par le tribun des syndicats, Pierre-Yves Maillard. Où qu’il s’installe, le populisme a besoin d’être incarné par une figure charismati­que.

Enfin, n’oublions pas que le relèvement de l’âge de la retraite féminine à 65 ans était passé de justesse en 2022, ce qui avait mécontenté une large majorité de femmes et la gauche unanime. Il pourrait y avoir dans le résultat de ce week-end une réponse de la bergère au berger, puisque c’est le triple de l’argent économisé il y a deux ans qui est reversé dans l’escarcelle aujourd’hui. C’est déraisonna­ble, mais le pire reste à venir. Rendez-vous le 9 juin.

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