Le genevois Proton lance un service pour déjouer la censure
L’entreprise va fournir des serveurs VPN gratuits à proximité des Etats où se dérouleront bientôt des élections, du Pakistan à l’Indonésie. La firme compte plus de 100 millions d’utilisateurs dans le monde
C’est une tentation à laquelle cèdent de plus en plus d’Etats: museler, totalement ou en partie, leurs citoyens en ligne à l’approche d’élections. Qu’il s’agisse d’une censure générale ou d’un filtrage par mot clé, le web n’a dans ce cas plus rien à voir avec un territoire d’expression libre. C’est pour tenter de contrecarrer ces mesures autoritaires que la société genevoise Proton a annoncé ce mercredi la mise à disposition d’un service VPN gratuit dans de nombreux pays. Un expert externe juge l’offre intéressante, mais avec des limites.
Comme le rappelle Proton, cette année, des élections auront lieu dans une soixantaine de pays, la moitié de la population mondiale étant appelée aux urnes. Récemment, le Pakistan et le Sénégal ont bloqué à plusieurs reprises l’accès à des réseaux sociaux pour faire taire l’opposition. La Turquie et le Rwanda, qui organiseront des élections en fin d’année, ont déjà mené des campagnes de censure et de désinformation sophistiquées par le passé, rappelle la société genevoise.
Gratuit pendant plusieurs jours
Sa solution: un VPN, soit un réseau privé virtuel. Ce service en ligne permet de masquer sa localisation et de faire croire que l’on se trouve ailleurs. C’est l’un des outils les plus utilisés pour tenter d’échapper à la censure étatique. Mercredi, Proton a affirmé qu’il mettrait gratuitement à disposition des serveurs VPN deux semaines avant les élections dans plusieurs pays ayant des antécédents de désinformation et de censure. Ces serveurs resteront gratuits pendant une semaine après les élections. En temps normal, Proton, qui compte au total 100 millions d’utilisateurs à ses services, fait payer 5 à 10 francs par mois pour son VPN.
La société affirme que l’usage de son VPN sera simplissime. «Lorsque les utilisateurs ouvriront l’application Proton VPN, ils n’auront qu’à cliquer sur le bouton d’auto-connexion. Cela les connectera au serveur le plus proche avec la meilleure performance, ce qui signifie que dans la grande majorité des cas ils seront automatiquement connectés au serveur local. Ils n’ont rien d’autre à faire, ils n’ont même pas besoin de chercher un pays. Nous le faisons pour eux», explique au Temps Antonio Cesarano, responsable produit chez Proton.
Un coup marketing?
Mais n’est-ce pas un coup marketing temporaire de Proton pour faire connaître ses services en temps normal payants? Non, affirme le responsable: «Proton lutte depuis longtemps contre la censure dans le monde entier. Nos efforts dans des pays comme la Russie, l’Iran et ailleurs sont bien documentés. Et nous avons constaté des pics d’utilisation de notre VPN dans des pays soumis à la censure. Nous avons passé un an à surveiller la censure et l’utilisation des VPN dans le monde entier, à évaluer les tendances et à apprendre à prédire les futurs pics. Avec cette campagne, nous mettons à profit nos connaissances pour aider les personnes qui en ont le plus besoin.»
Que penser de ce service? Le Temps a contacté Olivier Crochat, directeur du Center for Digital Trust (C4DT) de l’EPFL. «Avec cette offre, Proton s’adresse à mon avis principalement à des utilisateurs ou des citoyens qui veulent se renseigner avant de voter, avoir accès à des informations objectives donc là clairement l’utilisation d’un VPN va permettre de contourner certaines censures et d’avoir accès à d’autres sources d’information», estime l’expert.
Olivier Crochat voit deux types d’outils pour atteindre cet objectif. «Il y a un VPN, bien sûr, ou alors un navigateur web Tor [comparable à Chrome ou Firefox, ndlr]. Les risques de Tor, c’est que ça ne fonctionne que pour les infos accessibles par un navigateur et que l’utilisation de Tor est visible pour un gouvernement qui contrôle. Avec un VPN, on a un tunnel chiffré entre l’utilisateur et le fournisseur de VPN. Ceci permet de contourner tout ce qui est blocage de moteur de recherche, blocage DNS ou blocage IP…» Selon Olivier Crochat, l’utilisateur a ainsi un double bénéfice, avec une solution technique qui va permettre d’avoir cet anonymat en ligne et l’accès à du contenu qui était bloqué par la censure.
Le directeur du C4DT estime ainsi que les VPN sont un moyen important et très utile pour s’informer objectivement et accéder à divers points de vue dans les pays avec une censure internet ou une surveillance des citoyens. Mais Olivier Crochat avertit: «Par contre, à mon avis, un VPN ne va pas permettre «d’améliorer le débat démocratique». Il va permettre à ceux qui le veulent d’être informés, mais pour améliorer le débat, il faut qu’il y ait possibilité de débat et choix de candidats «libres».
Communication prévue
Dernière question: comment Proton compte-t-il faire connaître son offre au Pakistan ou au Venezuela? «Nous travaillerons avec des partenaires locaux dans la mesure du possible et nous nous engagerons auprès des médias locaux avant chaque élection pour essayer de faire passer l’information. Nous utiliserons également les médias sociaux pour dialoguer avec le public et le sensibiliser. La communauté de Proton est très engagée et nous espérons qu’elle pourra nous aider à diffuser l’information sur les médias sociaux, afin de faire connaître la campagne au plus grand nombre», répond Antonio Cesarano.
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