La paradoxale situation de l’emploi dans l’hôtellerie-restauration
Le secteur dans lequel le taux de chômage est le plus haut en Suisse est aussi l’un de ceux où les patrons alertent sur le manque de main-d’oeuvre. Décryptage
Dans l’hôtellerie et la restauration, le taux de chômage atteignait 5,4% en février. Il s’agit du secteur où le chômage est le plus élevé, dans un contexte où les chiffres du Secrétariat d’Etat à l’économie publiés hier révèlent pour la Suisse un taux de chômage de 2,4% en février contre 2,5% le mois précédent. Malgré le ralentissement conjoncturel rencontré dans certains secteurs, le manque structurel de maind’oeuvre semble donc continuer à contenir le chômage.
Dans les restaurants et hôtels justement, les employeurs disent peiner à recruter. Comment expliquer cet apparent paradoxe? Le chômage structurellement plus important dans le secteur s’explique, entre autres, par un taux de fluctuation élevé et une proportion relativement forte de demandeurs d’emploi moins qualifiés issus de cette branche, note Françoise Tschanz, porte-parole au Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco). «La structure de la branche est composée majoritairement de petits établissements et le taux de rotation moyen brut de l’hôtellerie-restauration est supérieur à celui d’autres secteurs», appuie Patrik Hasler-Olbrych, directeur de la communication pour GastroSuisse. De quoi fausser le tableau global.
Autre point relevé par GastroSuisse: le taux de chômage déclaré pour l’hôtellerie-restauration ne permet pas de savoir si une personne au chômage a une formation dans la branche, combien de temps elle a travaillé dans le secteur, ni quel emploi elle cherche. «Souvent, les personnes inscrites dans les offices régionaux de placement (ORP) à la suite d’un emploi dans l’hôtellerie-restauration ne recherchent pas obligatoirement dans ce secteur», développe Patrik Hasler-Olbrych.
Certes, dans le cadre du chômage, un candidat assigné à un poste convenable doit l’accepter, sous peine d’être sanctionné. Mais lorsqu’il est peu convaincu par le poste ou le secteur, on peut imaginer que la postulation en sera évidemment moins convaincante. Plus globalement, dans certaines régions, le tourisme fluctue en fonction des saisons, avec un impact sur les emplois dans la branche.
Manque de cuisiniers
A Genève, où la part la plus importante des demandeurs d’emploi au total se trouve dans la restauration, l’Office cantonal de l’emploi nous indique aussi que le caractère saisonnier de la branche, l’absence de personnel qualifié au vrai sens du terme et la «pénibilité» (notamment les horaires) des conditions de travail peuvent en partie expliquer ce taux élevé.
Des écarts importants existent cependant entre les différentes professions. Les cuisiniers et les collaborateurs de service ne sont par exemple pas logés à la même enseigne, relèvent plusieurs professionnels du secteur, dont Lionel Fontaine, directeur d’Hotelis, une agence de recrutement et de formation spécialisée dans l’hôtellerie-restauration. Il rappelle que les cuisiniers manquent davantage car ils se doivent d’être au bénéfice d’une solide formation, désertée pendant le covid.
Sur le terrain, il constate aussi une fréquente inadéquation entre offre et demande. «Certains présentent dans le service des compétences qui ne conviennent pas forcément partout.» Un exemple: «Ceux qui ont longtemps travaillé dans des restaurants de quartier qui ont fermé peuvent avoir plus de peine à se replacer dans des établissements luxueux qui nécessitent certains codes et de parler anglais. D’autres se montrent peu enclins à reprendre des emplois avec horaires de coupures, pour une question d’équilibre de vie et parce que faire les trajets plusieurs fois par jour peut leur coûter cher. Ils cherchent donc une place dans un restaurant d’entreprise par exemple, mais il y a peu de postes et ils sont surtout en cuisine.»
«Certains candidats hésitent à reprendre un poste avec horaires de coupures» LIONEL FONTAINE, DIRECTEUR D’HOTELIS
Inadéquation entre les besoins
Depuis le covid, beaucoup de personnes dans ce domaine ont cherché à se reconvertir, «c’est pourquoi le nombre de demandeurs d’emploi a été élevé dans ce secteur», rapporte pour sa part Séverine Liardon, responsable de la communication pour la direction générale de l’emploi et du marché du travail pour le canton de Vaud (DGEM). Dans le canton, les spécialistes et auxiliaires de la restauration et barmen arrivent en sixième position des professions les plus recherchées par les candidats, avec une variation annuelle de +16,5% pour les demandeurs d’emploi et de +20% pour les chômeurs. «La mobilité géographique des demandeurs d’emploi a aussi une influence; ils sont plus nombreux dans les zones urbaines, alors que de nombreux emplois se trouvent dans les zones touristiques périphériques», ajoute Séverine Liardon.
Quelles solutions, face à l’inadéquation entre besoins des employeurs et des candidats? «Il faut que les deux parties fassent des pas en direction de l’autre», propose Lionel Fontaine. Il donne l’exemple d’hôtels qui ont instauré des horaires continus, sans que le client se rende compte de ce compromis. «Par ailleurs notre centre de formation pour la Suisse romande est de plus en plus sollicité par des employeurs pour accompagner des personnes recrutées qui n’ont pas tout à fait le niveau, mais qui peuvent être formées.» ■