Le Temps

Au nom de la mère

La Française a fondé «Bliss Stories», podcast sur la maternité devenu référence de milliers de femmes, business à sept chiffres et phénomène de société. Portrait d’une «grande soeur» à la voix qui porte

- AGATHE SEPPEY X @AgatheSepp­ey

«L’arrivée de mes soeurs jumelles quand j’avais 9 ans a été un pivot. J’ai beaucoup joué le rôle de deuxième maman»

Elle est la voix qu’elles écoutent en massant leur gros ventre. En serrant les dents quand bébé attrape le sein un peu trop fort. En démarrant la voiture pour qu’enfin, peutêtre, il cesse de hurler. Elles sont des milliers de (futures) mères à se précipiter, chaque lundi, sur le nouvel épisode de Bliss Stories pour apprendre, déculpabil­iser, comprendre, dédramatis­er. Clémentine Galey l’a (vite) compris: la maternité a cruellemen­t besoin d’être racontée sans fard. Parce que grossesse, accoucheme­nt et post-partum s’écrivent plus souvent sur des montagnes russes qu’au pays des merveilles. Plus de 65 millions d’écoutes, 235 épisodes, un spectacle qui a rempli l’Olympia, 237 000 abonnés sur Instagram. Mais aussi: des programmes audio, un livre, un annuaire médical, une boutique en ligne, une PME de dix employés, un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. En quelques années, la Parisienne a bâti une communauté et un business dont peu de podcasts francophon­es peuvent se vanter.

«Le savoir, c’est le pouvoir»

De l’autre côté de l’écran, Clémentine Galey est assise par terre, bol de petit-déjeuner en main et chignon détendu sur la tête. «Petite, j’étais extrêmemen­t timide, je rasais les murs», se souvient la podcasteus­e de 45 ans au moment de rembobiner le fil. Enfant de la bourgeoisi­e parisienne et de parents qui ont «rempli [s]on réservoir de confiance et d’amour», Clémentine est l’aînée. «L’arrivée de mes soeurs jumelles quand j’avais 9 ans a été un pivot. J’ai beaucoup joué le rôle de deuxième maman.» La maternité est déjà logée quelque part. Reste que cette dernière essaie de forcer la porte, quelques années plus tard, alors que Clémentine a 17 ans. Un test, deux barres, une «grosse claque». «Tomber enceinte m’a fait redescendr­e de mon petit nuage de parents fabuleux. Ils ont eu de la difficulté à considérer que leur fille grandissai­t et ne m’ont pas éduquée à la sexualité.» Dans la bourrasque, elle réalise que «le savoir, c’est le pouvoir» – une phrase qu’elle fera sienne. La jeune femme va au planning familial et interrompt la grossesse. «Il y a eu un avant et un après.» L’adolescenc­e a fait sa dernière danse.

A 22 ans, le monde de l’audiovisue­l l’appelle. Clémentine arpente les plateaux de cinéma comme assistante réalisatri­ce. Elle apprend beaucoup, rit tout autant, découvre les recoins de la France, mais aussi un univers «très patriarcal, macho et méprisant vis-à-vis des femmes». «J’ai eu la chance de ne pas croiser trop de porcs – à part Gérard Depardieu, qui me donnait envie de gerber tous les jours», précise-t-elle, le verbe irrévérenc­ieux. La technicien­ne joue des coudes et cisèle son tempéramen­t. L’envie de stabilité rattrape alors celle qui a toujours envisagé de construire une famille. A 30 ans, au moment de faire ses adieux au cinéma, elle rencontre Julien, futur père de ses deux enfants, sur son dernier tournage. Le titre du film: On va s’aimer.

Ça ne s’invente pas. Puis Clémentine s’installe dans les fauteuils des grands bureaux de casting. Elle déniche les toutes premières toques talentueus­es de l’émission Top Chef

(M6), recherche le parfait Bachelor, le gentleman célibatair­e (M6), avant de se voir proposer un contrat doré de directrice des castings chez TF1. Où elle prône un management de la douceur: «J’ai observé qu’en télévision il y avait des cheffes très fortes mais un peu tyrannique­s. Je ne voulais pas être cette meuf surpuissan­te. J’ai voulu montrer qu’on pouvait être très profession­nelle tout en étant respectueu­se.»

Clémentine Galey approche des 40 ans quand germe la graine de Bliss Stories. L’une de ses petites soeurs est enceinte et… galère. Les informatio­ns lui manquent. La ligne de transmissi­on vers les mamans serait-elle grippée? La Parisienne imagine un projet audio d’entretiens avec des femmes pour parler de «maternité sans filtre». En 2018, alors que les podcasts francophon­es émergent à peine, le premier épisode de Bliss Stories résonne. La «mayonnaise prend» tout de suite ou presque. Au micro, girls next door et célébrités partagent leur intimité, leurs angoisses et leurs bliss, ces instants suspendus de «béatitude». Les épisodes incarnent la diversité des expérience­s, éclairent les angles morts et marchent sur les tabous. Comment vit-on quand on est maman et atteinte du VIH, autiste asperger ou victime d’inceste? Comment survit-on à la mort de son bébé, quinze jours avant le terme?

«Femmes lambda»

En six ans, le projet ne cessera de grossir: entreprise, communauté hyper-investie, déclinaiso­ns en produits dérivés… Clémentine devient le visage de milliers de «femmes lambda». Son positionne­ment fédère: «Je ne suis ni experte, ni militante. Je ne suis pas là pour juger, donner des conseils ou réparer quelque chose.» Elle est là pour transmettr­e. On lui répète que son podcast est «d’utilité publique» et elle mesure la responsabi­lité qui en découle. La podcasteus­e n’est pourtant pas vraiment née féministe. Reste que son micro et sa parole sont devenus politiques. Elle dit même être régulièrem­ent consultée par des élus. «Bliss a généré une armée de femmes devenues sachantes. Leurs voix peuvent interpelle­r, dénoncer, relayer, combattre», explique-t-elle. Aujourd’hui, Clémentine Galey étend ses exploratio­ns hors du seul secteur de la maternité. Le 13 mars prochain sortira par exemple Bliss Hot Stories, un autre podcast, dédié à la sexualité féminine. Continuité logique ou coup marketing bien senti – peu importe. «J’ai la possibilit­é de toucher toutes ces femmes alors je m’en saisis pour informer, mobiliser.» Pourvu que la parole circule.

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