Au Portugal, le logement rebat les cartes électorales
Excédés par l’envolée des loyers, de nombreux citoyens assurent que leurs difficultés à trouver un toit pèsent sur leur vote, alors que les élections anticipées ont lieu ce dimanche
Le soleil a beau s’inviter dans son salon, Agueda Assunção Andana, parée d’une écharpe, reste chaudement vêtue en ce début mars dans son nouvel appartement, tout près du zoo de Lisbonne. Voilà trois mois que cette retraitée de 72 ans partage un petit 3 pièces en lisière de la capitale avec sa colocataire depuis des années, sa soeur Maria Clementina, de deux ans son aînée. «On a été expulsées de notre ancien logement, où l’on vivait depuis dix ans, raconte-t-elle. On n’a rien pu faire. L’immeuble entier a été vendu et transformé pour y loger des employés et des touristes.» Un sort que des milliers de familles portugaises ne connaissent que trop bien, et pour cause: les avis d’expulsion ont augmenté de 17% l’an passé dans le pays. En grande majorité pour impayés.
Les deux septuagénaires, jamais mariées, sans enfants, ont eu un an pour quitter les lieux. «On a dû se débrouiller seules, souligne Agueda, la voix fluette mais l’oeil alerte. J’ai feuilleté les annonces, arpenté la ville et sa banlieue, levé la tête en quête de pancartes «à louer»… A mon âge, c’était épuisant.» Son seul critère? Etre proche d’un hôpital, pour des raisons de santé. «Durant des mois, j’ai enchaîné les visites mais quand j’arrivais, une file de gens attendaient déjà devant moi. J’expliquais ma situation, on m’assurait qu’on me rappellerait, mais jamais les réponses ne venaient.»
A un mois du terme, Agueda a paniqué: «J’ai bien cru qu’on allait devoir se retrancher dans notre ancien appartement, jusqu’à ce qu’on vienne nous chercher et nous mettre dehors. Finalement, un monsieur a accepté de nous louer ici.» Au prix d’un sacrifice toutefois, et non des moindres: pour la même surface, les soeurs ont vu leur loyer passer de 450… à 900 euros. «Et encore, on a négocié! Car pour un petit appartement comme celui-là, on nous demandait parfois 1300 euros.»
Comment faire quand ses finances sont ainsi grevées? «Economiser ici et là, en sortant peu et en ne voyageant pas», tranche Agueda, dont l’exemple illustre l’explosion des prix à la location, particulièrement à Lisbonne, où ils ont doublé en sept ans. Indexés sur l’inflation, les loyers pourront encore être augmentés de 7% en 2024. «Pour les couples avec enfants, c’est pire, convient la retraitée. Beaucoup de jeunes, aussi, vivent chez leurs parents.» De fait, les Portugais sont parmi les derniers en Europe à quitter le domicile familial, à l’âge de 29,7 ans en moyenne. Sur le canapé d’à côté, Maria Clementina interrompt sa lecture et s’invite dans la conversation: «Ce midi encore, au JT, il y avait un reportage sur des étudiants de Coimbra qui préparaient leurs valises. Des infirmiers, des médecins… Ils finissent leur cursus et ils s’en vont! Quelle tristesse… Beaucoup partent économiser des années à l’étranger pour revenir acheter leur maison ici.» Des jeunes poussés à l’exil par «les faibles salaires et la crise du logement», indiquait en début d’année l’Observatoire de l’émigration dans un rapport riche d’enseignements: le Portugal, y apprend-on, a le taux d’émigration le plus élevé d’Europe et l’un des plus élevés du monde. Car 30% des jeunes nés sur son sol vivent actuellement à l’étranger, soit 850000 personnes âgées de 15 à 39 ans.
«Deux raisons principales expliquent la flambée des prix de l’immobilier: la gentrification et la «touristification», contextualise Antonio Machado, secrétaire général de l’Association des locataires de Lisbonne, où le nombre de nuitées depuis 2015 est passé de 12 à 18 millions. «Il y a eu du bon, certes, avec la réhabilitation de nombreux immeubles, mais beaucoup ont été transformés pour faire des Airbnb. Rien qu’à Lisbonne, on en compte 20000.»
Un thème de campagne
«Deux raisons principales expliquent la flambée des prix: la gentrification et la «touristification»
ANTONIO MACHADO, DE L’ASSOCIATION DES LOCATAIRES DE LISBONNE
Antonio sort de son petit bureau et pointe trois bâtiments qui entourent ses locaux, sur l’avenue Almirante Reis. «Ils sont tous vides! Ils appartiennent à la Santa Casa da Misericordia [une institution caritative, ndlr], à un fonds d’investissement et à une banque. Lesquels, en plus, bénéficient d’avantages fiscaux! Il faut que cela cesse… car il reste très peu de logements sur le marché et encore moins à un prix raisonnable. Résultat: la colocation explose, les appartements sont surpeuplés ou les gens partent en banlieue.» Pour lui, une seule solution: «Il faut réglementer et superviser le marché, avec une politique fiscale échelonnée et progressive qui pénalise les loyers élevés. Sans ça, ils ne baisseront jamais.»
En vue des législatives de ce dimanche – anticipées après la démission du premier ministre socialiste au pouvoir depuis 2015, Antonio Costa, éclaboussé par une affaire de trafic d’influence –, les deux principaux partis se sont évidemment emparés de ce thème de campagne. Le PS plaide, entre autres, pour davantage de constructions afin qu’«à moyen terme», 5% des logements soient publics, contre 2% actuellement. L’Alliance démocratique, dont le leader Luis Montenegro est pressenti, selon les sondages, pour être le futur premier ministre, propose de son côté un soutien à l’achat d’un logement pour les jeunes de moins de 35 ans, via la suppression des charges fiscales et une garantie publique pour les prêts immobiliers.
Si, à l’aube du scrutin, Agueda et Maria Clementina disent faire partie des nombreux électeurs encore indécis (plus de 20%), Carina Taborda Da Cruz, elle, sait déjà qu’elle votera, «un peu en désespoir de cause», pour le jeune parti d’extrême droite Chega. «J’ai toujours voté PS, et même une année pour le Bloc de gauche, mais c’est fini», témoigne cette assistante dentaire de 37 ans qui, il y a un an, a émigré à Lausanne avec sa famille «pour offrir un peu plus que le strict nécessaire à [s]es enfants». «Je suis en colère contre mon pays, qui m’a obligée à vivre cette frustration de devoir émigrer en quête d’une vie meilleure. Pour des Portugais lambda, ça devient impossible de payer son loyer, les biens essentiels taxés à 23% et des impôts, toujours plus d’impôts! Ça ne s’arrête jamais. Ça me rappelle l’esclavage. André Ventura [leader de Chega, ndlr] ne remplira peut-être pas ses promesses comme les autres, mais je suis prête à payer pour voir.»
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