«Un quart de Gaza a faim, nous n’avons jamais vu ça»
La situation humanitaire sur place est telle que les parachutages de nourriture et le port que les Etats-Unis veulent construire sont dérisoires, selon le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation pour le Conseil des droits de l’homme
Alors que la famine s’empare de Gaza, tout le monde semble réaliser la catastrophe humanitaire qui se déroule dans cette bande de terre de 365 km². Différentes organisations et experts onusiens avaient pourtant déjà tiré la sonnette d’alarme au cours des derniers mois. Mais la détérioration rapide de la situation alimentaire force à agir.
Lors de son discours sur l’état de l’Union jeudi, le président américain, Joe Biden, en grande difficulté intérieure en raison de sa politique proche-orientale, a annoncé que son pays allait installer un port provisoire à Gaza pour acheminer de l’aide humanitaire. Dans la même veine, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en visite à Chypre, a dit hier espérer l’ouverture d’un corridor humanitaire maritime à partir du port chypriote de Larnaca vers Gaza. Il y a quelques jours, les EtatsUnis ont largué par avion de la nourriture. La France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Egypte et la Jordanie ont également participé à des opérations de parachutage de denrées alimentaires.
Famine «orchestrée»
Ces opérations n’impressionnent pas le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation pour le Conseil des droits de l’homme, Michael Fakhri. S’exprimant hier devant les correspondants du Palais des Nations (Acanu), il a déclaré: «C’est un consensus au sein de la communauté des humanitaires, les parachutages sont très chers et inefficaces. Ils contribuent très marginalement au problème de malnutrition et de début de famine. Ils sont plutôt de nature à créer le chaos.» Hier, un colis largué dont le parachute ne s’est pas ouvert a tué cinq personnes et en a blessé dix autres.
«Ce à quoi appellent les humanitaires et les Palestiniens, ce n’est pas cela, c’est un cessez-le-feu permanent. Ces parachutages ont historiquement surtout eu lieu en territoire ennemi.» Et le professeur de droit de l’Université de l’Oregon d’ajouter: «C’est absurde. Comment les Etats-Unis peuvent-ils encore livrer des bombes, des munitions et de l’argent au gouvernement israélien qui orchestre la famine à Gaza et parallèlement vouloir créer un port provisoire pour apporter de la nourriture. C’est incompréhensible. C’est sans doute destiné à une audience américaine.»
La situation humanitaire à Gaza, où l’Etat hébreu poursuit sa campagne de bombardement, est sans précédent: «Un quart de la population a faim, soit un demi-million de personnes. Nous n’avons jamais vu une dégradation aussi rapide dans l’histoire moderne, constate Michael Fakhri: 350000 enfants souffrent de malnutrition et de déshydratation; 90% des enfants de moins de 5 ans sont affectés par des maladies infectieuses. Trois critères établis par l’ONU disent que nous sommes en situation de famine quand 20% de la population souffre de la faim, un tiers des enfants de
«Israël a détruit le système alimentaire du territoire en contaminant les terres» MICHAEL FAKHRI, RAPPORTEUR POUR LE CONSEIL DES DROITS DE L’HOMME
malnutrition et que deux personnes par 10000 habitants meurent chaque jour de la faim.»
Avant la guerre déclenchée par l’attaque terroriste du 7 octobre dernier, qui a provoqué la mort de 1200 Israéliens, quelque 500 camions d’aide humanitaire alimentaient Gaza chaque jour. Un chiffre qui correspondait aux nombres de calories minimales dont avait besoin la population pour ne pas se rebeller. Aujourd’hui, selon le rapporteur spécial de l’ONU, ce sont entre 85 et 100 camions qui passent par les points de passage de Rafah au sud et de Kerem Shalom. «Mais même ces convois humanitaires connaissent d’énormes problèmes. A de multiples reprises, ils sont bombardés. La tragédie de la rue Al-Rashid à Gaza [où une centaine de personnes ont été tuées et plus de 700 blessées, ndlr] n’est pas isolée. Nous avons connaissance de 14 autres incidents de ce type.»
La possible famine à Gaza est accentuée par l’incapacité des Palestiniens à produire leur propre nourriture. Michael Fakhri en explique la raison: «Israël a détruit le système alimentaire de Gaza en contaminant les terres et en détruisant 80% des structures de pêche. Aujourd’hui, les Gazaouis ont l’interdiction d’aller pêcher. Tout a été détruit. On comprend mal du coup pourquoi les Etats-Unis s’empresseraient de construire un port provisoire.»
Refus israélien
Ripostant au rapport de Michael Fakhri présenté jeudi au Conseil des droits de l’homme, la mission de l’Etat hébreu auprès des Nations unies est ferme: «Israël rejette catégoriquement les accusations selon lesquelles il utiliserait la faim comme arme de guerre. C’est un mensonge patent. Nous rejetons également ceux qui nous accusent de cibler l’aide humanitaire ou ceux qui la reçoivent», a expliqué Yeela Cytrin, conseil juridique à la mission israélienne. Israël reconnaît néanmoins que la population palestinienne de Gaza a besoin d’une assistance humanitaire. Yeela Cytrin avance des chiffres: «Depuis le début du conflit, 195000 tonnes de nourriture sont entrées à Gaza par le biais de 9200 camions.»
Le rapporteur spécial de l’ONU s’est dit choqué par le long silence de la communauté internationale, en particulier de l’Union européenne, même si celle-ci se réveille peu à peu. «On a longtemps assisté à un déni de réalité, notamment de l’Allemagne. L’Irlande fut l’exception. Le pays a expérimenté lui-même la famine et le colonialisme.»
Les pays arabes ont tenu des propos outrés au CDH sur la situation de Gaza, mais, relève Michael Fakhri, ceux-ci n’ont pas été suivis d’actions. «Si le Conseil de sécurité a tenté de se saisir de l’affaire, le Conseil des droits de l’homme n’a absolument rien fait», déplore le professeur de l’Oregon. Yasmeen el-Hasan, chargée du plaidoyer pour l’Union des comités de travail agricole en Palestine, est dévastée par la famine de Gaza. A ses yeux, il est impératif que les Palestiniens conquièrent «une souveraineté alimentaire». Elle le rappelle: «Enlever un olivier dans les territoires occupés, c’est déraciner la population. L’olivier dit ce que signifie être un Palestinien.»
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