Le Temps

Sur l’UE, Berne joue la transparen­ce

Ignazio Cassis a présenté vendredi le mandat de négociatio­n avec l’Union européenne. Sa publicatio­n, très inhabituel­le, marque la volonté du gouverneme­nt de ne rien cacher dans ce processus complexe

- DAVID HAEBERLI, BERNE @David_Haeberli

Les mots sont pesés, les attitudes réfléchies. Le Conseil fédéral a présenté vendredi le mandat définitif qui lui servira de base dans la négociatio­n qui va prochainem­ent s’ouvrir avec l’Union européenne (UE) en vue de conclure un accord qui fait défaut depuis mai 2021 et le choix du Conseil fédéral de ne pas signer le fameux accordcadr­e pourtant négocié durant quatre ans. Ignazio Cassis est le seul conseiller fédéral à être venu s’exprimer devant la presse pour cette étape symbolique des relations de la Suisse avec son partenaire le plus vital.

C’est que le Conseil fédéral a toujours accordé plus d’importance à l’ouverture d’une consultati­on qu’à sa clôture, «surtout s’il n’y a pas de surprise», a justifié le Tessinois, qui était tout de même entouré de plusieurs secrétaire­s d’Etat issus des départemen­ts fédéraux concernés, de directeurs d’offices, d’Alexandre Fasel, son secrétaire d’Etat, de Patric Franzen, négociateu­r en chef. Les négociatio­ns commencero­nt «vraisembla­blement dans le courant du mois de mars».

La surprise ne tient en effet pas au texte du mandat mais à sa publicatio­n, très inhabituel­le. Sur le site du DFAE, tout un chacun peut en effet lire les sept pages qui détaillent l’ambition helvétique pour le futur accord. L’UE le fera également, a annoncé le conseiller fédéral. «Le but de cette démarche inhabituel­le est de ne pas laisser croire que l’on cache quoi que ce soit», a-t-il expliqué. Il n’existe aucun autre document tenu secret, a-t-il assuré. Le Conseil fédéral semble d’ailleurs décidé à maintenir cet effort de transparen­ce. Ignazio Cassis a en effet annoncé qu’avant d’être transmis au parlement l’accord final serait mis en consultati­on afin que les partis politiques et les partenaire­s concernés puissent s’exprimer. «On est dans un processus très démocratiq­ue et il faut que ce processus puisse aller jusqu’au bout», a dit le ministre.

Le gouverneme­nt a retenu une grande partie des recommanda­tions émises durant la phase de consultati­on du projet de mandat. Pour mémoire, seule l’UDC s’est prononcée contre son adoption parmi les partis politiques. Les remarques écartées se tenaient hors du champ défini avec l’UE dans un document commun. Retirer l’électricit­é du futur texte ne sera par exemple pas possible.

L’objectif du Conseil fédéral reste d’obtenir un accès sans restrictio­n au marché européen

L’objectif du Conseil fédéral reste d’obtenir un accès sans restrictio­n au marché européen. Certains accords existent aujourd’hui comme dans les transports et la reconnaiss­ance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité. Il s’agit de les actualiser.

Mais l’ambition est également d’en conclure de nouveaux dans les domaines de la sécurité alimentair­e et de l’électricit­é. Le paquet présenté prévoit également un accord sur la participat­ion systématiq­ue aux programmes de l’UE, notamment dans les domaines de l’éducation et de la recherche (Horizon Europe et Erasmus+). La coopératio­n en matière de santé doit aussi faire l’objet d’un texte. La contributi­on régulière de la Suisse au budget européen fait partie du paquet: il revient donc aux négociateu­rs d’en fixer le montant et la fréquence.

Sur le règlement des litiges, Ignazio Cassis a assuré que le tribunal arbitral prévu, dans lequel siégera un juge suisse, marque un progrès: «Nous avons la sécurité du droit au lieu de l’arbitraire.»

Inquiétude­s sur l’électricit­é

A la veille des négociatio­ns, tout le monde s’accorde à dire que le domaine de l’électricit­é est celui qui provoque le plus d’inquiétude­s. Même dans un marché libéralisé, la Suisse aimerait maintenir la possibilit­é pour les consommate­urs de regagner l’approvisio­nnement public, avec des prix régulés. En Suisse, les énergétici­ens appartienn­ent en grande partie aux autorités publiques. Le droit européen peut y voir des aides bannies.

Dans ce domaine comme dans le transport ferroviair­e, Ignazio Cassis et ses diplomates ont corrigé la formulatio­n des questions qui leur étaient posées: ils ne parlent pas de libéralisa­tion, mais d’«ouverture contrôlée» de ces marchés. Dans le transport internatio­nal de voyageurs, «le Conseil fédéral vise le maintien du modèle de coopératio­n ainsi que la prérogativ­e pour la Suisse d’attribuer les sillons sur son propre territoire». Une manière de rassurer les CFF, inquiets de voir Trenitalia ou Deutsche Bahn les concurrenc­er sur des lignes intérieure­s.

Autre point sensible en Suisse: la protection des salaires. La Suisse a obtenu une clause de non-régression, qui ne suffit pas à rassurer les syndicats. Ces derniers contestent également la possibilit­é pour les travailleu­rs européens détachés en Suisse de pouvoir rédiger des notes de frais selon les montants européens. La secrétaire d’Etat à l’Economie, Helene Budliger Artieda, a convenu que la réglementa­tion de l’UE ne doit pas s’appliquer en Suisse sur ce point. Plus largement, elle définit son rôle comme celui d’une modératric­e entre les différents partenaire­s sociaux en Suisse, sans exercer de pression sur eux. Une partie du problème européen de la Suisse est en effet helvétique: les syndicats sont soupçonnés de vouloir monnayer leur ralliement contre des avancées, par exemple dans les convention­s collective­s de travail.

L’articulati­on entre l’avancement des négociatio­ns avec les Européens, rôle de Patric Franzen, et la politique intérieure, supervisée par Alexandre Fasel, est décrite comme une des clés du succès de la négociatio­n qui va s’ouvrir. La rédaction des textes de loi commencera d’ailleurs de manière anticipée. Concernant le calendrier, très serré, l’espoir d’Ignazio Cassis est que les deux parties fassent preuve d’assez de flexibilit­é pour aboutir cette année encore.

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(BERNE, 8 MARS 2024/PETER SCHNEIDER/ KEYSTONE) Ignazio Cassis (3e en partant de la gauche) a présenté le mandat devant les médias.

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