Sur l’UE, Berne joue la transparence
Ignazio Cassis a présenté vendredi le mandat de négociation avec l’Union européenne. Sa publication, très inhabituelle, marque la volonté du gouvernement de ne rien cacher dans ce processus complexe
Les mots sont pesés, les attitudes réfléchies. Le Conseil fédéral a présenté vendredi le mandat définitif qui lui servira de base dans la négociation qui va prochainement s’ouvrir avec l’Union européenne (UE) en vue de conclure un accord qui fait défaut depuis mai 2021 et le choix du Conseil fédéral de ne pas signer le fameux accordcadre pourtant négocié durant quatre ans. Ignazio Cassis est le seul conseiller fédéral à être venu s’exprimer devant la presse pour cette étape symbolique des relations de la Suisse avec son partenaire le plus vital.
C’est que le Conseil fédéral a toujours accordé plus d’importance à l’ouverture d’une consultation qu’à sa clôture, «surtout s’il n’y a pas de surprise», a justifié le Tessinois, qui était tout de même entouré de plusieurs secrétaires d’Etat issus des départements fédéraux concernés, de directeurs d’offices, d’Alexandre Fasel, son secrétaire d’Etat, de Patric Franzen, négociateur en chef. Les négociations commenceront «vraisemblablement dans le courant du mois de mars».
La surprise ne tient en effet pas au texte du mandat mais à sa publication, très inhabituelle. Sur le site du DFAE, tout un chacun peut en effet lire les sept pages qui détaillent l’ambition helvétique pour le futur accord. L’UE le fera également, a annoncé le conseiller fédéral. «Le but de cette démarche inhabituelle est de ne pas laisser croire que l’on cache quoi que ce soit», a-t-il expliqué. Il n’existe aucun autre document tenu secret, a-t-il assuré. Le Conseil fédéral semble d’ailleurs décidé à maintenir cet effort de transparence. Ignazio Cassis a en effet annoncé qu’avant d’être transmis au parlement l’accord final serait mis en consultation afin que les partis politiques et les partenaires concernés puissent s’exprimer. «On est dans un processus très démocratique et il faut que ce processus puisse aller jusqu’au bout», a dit le ministre.
Le gouvernement a retenu une grande partie des recommandations émises durant la phase de consultation du projet de mandat. Pour mémoire, seule l’UDC s’est prononcée contre son adoption parmi les partis politiques. Les remarques écartées se tenaient hors du champ défini avec l’UE dans un document commun. Retirer l’électricité du futur texte ne sera par exemple pas possible.
L’objectif du Conseil fédéral reste d’obtenir un accès sans restriction au marché européen
L’objectif du Conseil fédéral reste d’obtenir un accès sans restriction au marché européen. Certains accords existent aujourd’hui comme dans les transports et la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité. Il s’agit de les actualiser.
Mais l’ambition est également d’en conclure de nouveaux dans les domaines de la sécurité alimentaire et de l’électricité. Le paquet présenté prévoit également un accord sur la participation systématique aux programmes de l’UE, notamment dans les domaines de l’éducation et de la recherche (Horizon Europe et Erasmus+). La coopération en matière de santé doit aussi faire l’objet d’un texte. La contribution régulière de la Suisse au budget européen fait partie du paquet: il revient donc aux négociateurs d’en fixer le montant et la fréquence.
Sur le règlement des litiges, Ignazio Cassis a assuré que le tribunal arbitral prévu, dans lequel siégera un juge suisse, marque un progrès: «Nous avons la sécurité du droit au lieu de l’arbitraire.»
Inquiétudes sur l’électricité
A la veille des négociations, tout le monde s’accorde à dire que le domaine de l’électricité est celui qui provoque le plus d’inquiétudes. Même dans un marché libéralisé, la Suisse aimerait maintenir la possibilité pour les consommateurs de regagner l’approvisionnement public, avec des prix régulés. En Suisse, les énergéticiens appartiennent en grande partie aux autorités publiques. Le droit européen peut y voir des aides bannies.
Dans ce domaine comme dans le transport ferroviaire, Ignazio Cassis et ses diplomates ont corrigé la formulation des questions qui leur étaient posées: ils ne parlent pas de libéralisation, mais d’«ouverture contrôlée» de ces marchés. Dans le transport international de voyageurs, «le Conseil fédéral vise le maintien du modèle de coopération ainsi que la prérogative pour la Suisse d’attribuer les sillons sur son propre territoire». Une manière de rassurer les CFF, inquiets de voir Trenitalia ou Deutsche Bahn les concurrencer sur des lignes intérieures.
Autre point sensible en Suisse: la protection des salaires. La Suisse a obtenu une clause de non-régression, qui ne suffit pas à rassurer les syndicats. Ces derniers contestent également la possibilité pour les travailleurs européens détachés en Suisse de pouvoir rédiger des notes de frais selon les montants européens. La secrétaire d’Etat à l’Economie, Helene Budliger Artieda, a convenu que la réglementation de l’UE ne doit pas s’appliquer en Suisse sur ce point. Plus largement, elle définit son rôle comme celui d’une modératrice entre les différents partenaires sociaux en Suisse, sans exercer de pression sur eux. Une partie du problème européen de la Suisse est en effet helvétique: les syndicats sont soupçonnés de vouloir monnayer leur ralliement contre des avancées, par exemple dans les conventions collectives de travail.
L’articulation entre l’avancement des négociations avec les Européens, rôle de Patric Franzen, et la politique intérieure, supervisée par Alexandre Fasel, est décrite comme une des clés du succès de la négociation qui va s’ouvrir. La rédaction des textes de loi commencera d’ailleurs de manière anticipée. Concernant le calendrier, très serré, l’espoir d’Ignazio Cassis est que les deux parties fassent preuve d’assez de flexibilité pour aboutir cette année encore.
■