Le Temps

Un procès en appel pour les millions de la bière belge

Fara Chorfi, femme de loi et ex-personne de confiance de la famille Bailo de Spoelberch, avait été acquittée du chef de blanchimen­t aggravé en appel à l’issue d’une procédure écrite. Contraire au droit dans ce cas, tranche le Tribunal fédéral. Une audienc

- FATI MANSOUR @fatimansou­r Arrêt 7B_271/2023, 7B_445/2023 du 1er février 2024

Les retourneme­nts de situations se succèdent dans cette incroyable histoire opposant les frères Bailo de Spoelberch, héritiers d’une dynastie brassicole belge, à leur ancienne avocate. D’abord condamnée à Genève pour avoir blanchi des fonds détournés au préjudice de cette richissime famille et falsifié une convention d’honoraires, Fara Chorfi, 60 ans, avait ensuite obtenu son acquitteme­nt sur ce volet. La Cour n’était pas convaincue par la thèse d’une conseillèr­e avide ayant profité de protégés trop naïfs. Dans un arrêt publié ce jour, le Tribunal fédéral annule la décision au motif que la procédure d’appel s’est déroulée par écrit et renvoie l’affaire pour que celle-ci fasse l’objet d’une audience.

Rappelons qu’en septembre 2019, l’avocate belge, était condamnée en première instance à 30 mois de prison, dont 15 avec sursis, pour avoir voulu prendre le contrôle d’une fortune colossale en arnaquant feu la vicomtesse Amicie Bailo de Spoelberch et ses enfants adoptifs, lesquels lui réclament toujours quelque 250 millions d’euros. En appel, la Cour s’est montrée moins convaincue par la thèse des héritiers égarés par trop de fêtes et de substances ou devenus totalement dépendants de cette femme machiavéli­que. Acquittée du pire, la prévenue s’en tire alors avec 250 jours-amendes avec sursis.

Crise sanitaire

Fin de l’histoire? Pas du tout. Cette affaire de très gros sous est évidemment montée au Tribunal fédéral, lequel a désavoué le choix de la procédure écrite, limitée à des conditions précises. Celle-ci avait été concédée à l’époque par la Chambre pénale d’appel et de révision au vu des «circonstan­ces particuliè­res du cas d’espèce», de la crise sanitaire et du fait que la demande émanait de la prévenue alors en mauvaise santé. Toutes les parties avaient alors consenti à ce tour de passe-passe procédural pour pouvoir avancer.

Selon Mon-Repos, les conditions n’étaient toutefois pas réunies pour procéder ainsi, car la contestati­on portait aussi sur les faits et pas seulement sur le droit. La cour cantonale a d’ailleurs procédé à une nouvelle appréciati­on détaillée des déclaratio­ns. «Il apparaît dès lors fortement compromis, dans un tel contexte, de considérer que la présence de la prévenue aux débats d’appel n’était pas indispensa­ble», souligne l’arrêt.

Vingt ans après

L’affaire revient donc en appel avec des débats à la clé. De quoi énerver la défense de l’avocate: «La partie adverse (la société des frères Bailo de Spoelberch) avait elle-même suggéré la première la mise en oeuvre d’une procédure écrite. Elle a ensuite confirmé son accord à deux reprises au moins et y a participé sans réserve jusqu’à son terme. Ce n’est qu’après avoir perdu qu’elle s’est plainte de la procédure suivie. Il est choquant que le Tribunal fédéral ait protégé ce comporteme­nt totalement contradict­oire, sans même nous inviter à nous exprimer. Infliger cette épreuve supplément­aire à notre cliente, mais aussi à la justice genevoise, près de vingt ans après les faits, est vraiment insensé», s’énervent Mes Grégoire Mangeat et Fanny Margairaz.

Du côté de la société en question, Mes Patrick Hunziker et Romain Canonica balayent la critique: «Mme Chorfi peut bien vitupérer contre les tribunaux et les parties. On constate cependant qu’en l’état, depuis plus de 20 ans, le TF n’interpelle pas les parties lorsqu’il s’agit d’annuler une décision pour vice de procédure. Et il suffit de lire l’arrêt pour constater aussi qu’à titre principal le recours ne visait pas à obtenir un renvoi sur vice de procédure, mais bien une condamnati­on.» La partie plaignante souligne encore «qu’une crispation de Mme Chorfi à la perspectiv­e de devoir faire face à ses juges d’appel est compréhens­ible après être parvenue à l’éviter».

Reste à voir si les débats vont changer quelque chose à l’appréciati­on des juges.

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