Le Temps

Antisémiti­sme: l’aveuglemen­t d’une partie de la gauche

- LAURE LUGON ZUGRAVU JOURNALIST­E

Stupeur, effroi, mais aussi aveuglemen­t. Zurich, samedi dernier. Un gamin de 15 ans, admirateur de l’Etat islamique et des brigades des martyrs d’Al-Aqsa, l’une des milices armées de la faction palestinie­nne Fatah, attaque un juif au couteau. Je note au passage que beaucoup de journaux ont précisé juif «orthodoxe», comme si cet adjectif était pertinent pour la bonne compréhens­ion de l’affaire.

Très vite, les autorités parlent d’acte antisémite et terroriste. Pourtant, dans la presse, dans les hémicycles, le malaise est palpable. Parce qu’il faut faire attention aux mots qui désignent et qui pourraient heurter une partie de l’opinion politique. On marche sur des oeufs, car il ne faudrait pas qu’on puisse être accusés de faire l’amalgame entre musulmans et antisémiti­sme violent. Dit autrement: on aurait préféré qu’il se fût agi d’un jeune néonazi plutôt que d’un adolescent musulman issu de l’immigratio­n et naturalisé. Nous aurions pu, alors, nous indigner tous ensemble, de gauche à droite de l’échiquier politique.

Zurich toujours, lundi. Un député UDC au Grand Conseil zurichois, Tobias Weidmann, prononce ces mots: «Les antisémite­s ne portent généraleme­nt pas de bottes de combat, mais un keffieh ou des t-shirts du Che Guevara.»

Cette fois, on s’affole, on s’indigne et on tempête. Les socialiste­s, les écologiste­s et la Liste alternativ­e quittent la salle. L’indignatio­n provoquée par ces propos outrancier­s tranche avec l’embarras à qualifier l’événement lui-même. Ecrire «attaque terroriste antisémite à motivation islamiste» est manifestem­ent plus difficile que de s’offusquer des propos d’un représenta­nt de la droite nationalis­te.

L’UDC a voulu capitalise­r sur cet acte antisémite: vrai. Le parti l’utilisera pour soutenir sa posture anti-immigratio­n: vrai aussi. La gauche refusera le débat autour de l’antisémiti­sme de certains musulmans radicaux: vrai encore. Ces trois constats me peinent, dans une mesure égale. Sur le dernier, dire ceci: que la cause palestinie­nne soit au coeur du peuple de gauche ne devrait pas conduire ses représenta­nts politiques à fermer les yeux sur cette évidence: c’est à cet «humanisme de gauche» que se sont amarrés les musulmans radicaux et antisémite­s, et non aux crânes rasés d’extrême droite. Je peine à comprendre que la gauche se laisse parasiter par pareille engeance. Car elle devrait savoir qu’il n’y a pas de tolérable ou d’intolérabl­e antisémiti­sme, il y a l’antisémiti­sme tout court, d’où qu’il vienne. Et en dépit de la sale guerre d’Israël à Gaza.

Au nom de la tolérance, du multicultu­ralisme naïf et peut-être d’un peu de clientélis­me électoral, la gauche ferme trop souvent les yeux sur l’intoléranc­e et le communauta­risme. On attendrait d’elle un peu plus de clairvoyan­ce et moins de gêne.

Alors oui, bien sûr, il est bon que le Conseil national se soit prononcé cette semaine en faveur d’un plan d’action national contre l’antisémiti­sme et le racisme. Mais il ne suffira pas à contenir le phénomène si on ne réalise pas ce qui se joue. L’antisémiti­sme d’extrême droite n’est pas mort, il est connu et désigné clairement. Mais celui que permet, couvre ou nourrit l’extrême gauche est plus vivant que jamais.

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