Le Temps

Quoi de neuf à Pékin? On attend de rouvrir les fenêtres!

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Après Li Keqiang, voici Li Qiang. La différence tient à un caractère. Le premier était un premier ministre respecté dont le pilotage de l’économie a été salué. Il était l’un des derniers hauts dirigeants chinois qui n’était pas totalement redevable de Xi Jinping. Contrairem­ent à ce dernier, il a pris sa retraite après deux mandats comme le voulait l’usage jusque-là. Du moins depuis l’ère des réformes. Quelques mois plus tard, on le retrouvait mort dans la piscine d’un hôtel de Shanghai: crise cardiaque, indique sa notice officielle. Exit celui que l’on considérai­t comme l’un des derniers «réformateu­rs» du parti. Un homme ouvert sur le monde comme pouvait l’être la Chine d’avant l’ère Xi.

Le second, Li Qiang, doit tout à l’actuel secrétaire général du parti. Et Xi Jinping a concentré tous les pouvoirs pour un règne qui paraît désormais sans limites.

Que pouvait-il bien dire dans son premier rapport devant le parlement dont la réunion annuelle se tient ces jours-ci à Pékin? Rien de très inattendu. Son discours a été relativeme­nt bref et articulé selon la formule consacrée du bilan de l’année écoulée et des objectifs de celle à venir. La croissance est fixée à 5%, l’armée sera mieux dotée, le chômage dompté, la corruption chassée, Hongkong sécurisée, Taïwan plus que jamais destinée à s’arrimer au continent, etc.

Le seul changement, à vrai dire, tient au fait que le premier ministre ne donnera plus de conférence de presse. Ce qui paraît logique, au vu de l’évolution du régime. Fini les envolées réformatri­ces de Zhu Rongji, les messages «démocratiq­ues» de Wen Jiabao ou la petite musique «libérale» de Li Keqiang. Le gouverneme­nt, l’Etat, se tait. Il est de nouveau entièremen­t soumis au parti. A y regarder de plus près, toutefois, il

y a un bref passage de ce discours, une phrase en fait, qui indique une inquiétude nouvelle. Voici ce que dit Li Qiang: «Notre pays doit aussi faciliter la vie, les études et le travail des étrangers en Chine.» C’est tout? C’est beaucoup! C’est l’aveu d’un nouveau problème: la désertion des étrangers – pas uniquement occidentau­x – de la Chine.

Li Qiang n’a pas développé son propos. Mais dans la seconde Chambre du parlement – la Commission consultati­ve du peuple, qui a encore moins de pouvoir que l’Assemblée nationale –, un homme s’en est chargé avec la soumission de deux propositio­ns relayées sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un professeur de l’Université de Pékin, Jia Qingguo. Dans un premier texte, il décrit l’effondreme­nt du nombre d’étudiants étrangers en Chine. A titre d’exemple, il rappelle que s’il y avait 15 000 Américains en 2013 ils ne sont plus que 350 en 2023. Une chute de 90%. Pour les Sud-coréens, c’est -78,5%, etc. Une baisse qui se vérifie aussi pour les Suisses. Elle est générale. Deux facteurs externes expliquent certes le phénomène: le covid et la géopolitiq­ue. Mais le professeur ajoute d’autres raisons, internes celles-là: les nouvelles lois sur l’espionnage, le contrôle d’internet et de l’ensemble des données, y compris bancaires. Sans un assoupliss­ement, la Chine est un pays trop risqué pour un étranger. D’autant qu’il ne peut connaître les limites de ce qui peut encore se dire ou non sans enfreindre la loi. La Chine est devenue un éteignoir.

Dans un second texte, Jia Qingguo dénonce cette fois les restrictio­ns faites aux professeur­s, aux diplomates, en fonction ou à la retraite, ou tout autre officiel pour parler à des étrangers ou donner des interviews à des médias étrangers. En fait plus personne n’ose parler ou donner l’autorisati­on de le faire par crainte d’être sanctionné en cas de «problème». Hormis la propagande, la Chine est devenue muette. Cela explique en partie, note le professeur, la détériorat­ion de l’image de la Chine – hormis en Afrique – dans le monde. Elle n’avait plus été aussi négative depuis vingt ans. Faire ce constat est en soi une nouveauté. Il ne reste plus qu’à rouvrir les fenêtres. Si ce n’est pas pour la liberté de penser, cela s’impose pour la reprise économique.

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