Le Temps

Comment priver le Bayern du titre (en prenant des joueurs suisses)

Fort de dix points d’avance, le Bayer Leverkusen de Granit Xhaka est bien parti pour mettre fin à la série de 11 titres consécutif­s du Bayern Munich. Ces dernières années, peu d’équipes ont réussi à tenir tête au géant de Bavière

- LAURENT FAVRE X @LaurentFav­re

C’est un séisme qui se prépare en Bavière. Pour la première fois depuis 2011-2012, le Bayern Munich pourrait bien ne pas être sacré champion d’Allemagne en mai prochain. La faute au Bayer Leverkusen de l’entraîneur espagnol Xabi Alonso et de son relais au milieu du terrain, le capitaine de l’équipe de Suisse, Granit Xhaka. Invaincus depuis le début de la saison (en coupe d’Allemagne et en Europa League également), les Rhénans comptent dix points d’avance à dix journées de la fin. Ils peuvent donc mettre simultaném­ent fin à leur réputation de perdants (Leverkusen est surnommé «Neverkusen» par les fans des autres équipes) ainsi qu’à la série record de 11 titres consécutif­s pour le Bayern Munich.

Depuis la création de la Bundesliga en 1963, le Bayern a soulevé le Meistersch­ale (le trophée d’argent en forme de bouclier ou d’assiette) plus d’une fois sur deux: 32 fois en 60 éditions (et même 26 fois sur les 40 dernières saisons). Chaque fois que le Bayern n’est pas champion, c’est un évènement. En remontant le palmarès, Leverkusen pourrait rejoindre le Borussia Dortmund (titré en 2011 et 2012), Wolfsburg en 2008-2009, Stuttgart en 2006-2007, le Werder Brême en 2003-2004, Kaiserslau­tern en 1997-1998, Borussia Dortmund à nouveau en 1994-1995 et 1995-1996.

Pour l’amateur suisse de football, ces noms et ces millésimes réveillent de vieux souvenirs: Stéphane Chapuisat était l’avant-centre du Dortmund des années 1990, Ciriaco Sforza tenait à Kaiserslau­tern le rôle (central) qu’occupe aujourd’hui Xhaka à Leverkusen, Ludovic Magnin arpentait le couloir gauche du Werder Brême en 2004 puis celui du VfB Stuttgart (avec Marco Streller en 2007), Diego Benaglio était le gardien du VfL Wolfsburg. A la question «Comment battre le Bayern Munich?», la réponse simple pourrait être: en mettant des Suisses à des postes clés, mais ce serait simpliste, autrement le club le plus suissophil­e de Bundesliga, le Borussia Moenchengl­adbach, aurait empilé les titres. Le Borussia Dortmund a été deux fois champion juste après le départ d’Alexander Frei en 2009 et sans aucun joueur suisse.

«On ne bat pas le Bayern»

Gardons simplement à l’esprit que ces anciens joueurs sont idéalement placés pour ressentir ce que peut vivre Granit Xhaka, et donner à comprendre à quoi cela peut ressembler de faire la course en tête en Bundesliga avec le souffle du grand Bayern sur l’échine.

Vendredi, l’entraîneur du Bayern Munich, Thomas Tuchel (qui ne sera pas conservé au terme de la saison), a affirmé que son équipe «n’a pas renoncé au titre de champion de Bundesliga». «Laisser tomber, ce n’est pas leur genre, confirme Stéphane Chapuisat. Le Bayern ne lâche jamais.» Cette pression, «Chappi» ne l’a pas forcément connue comme joueur mais comme supporter l’an dernier, lorsque son Borussia Dortmund a perdu le titre à la dernière journée.

Vu de Munich, le sacre d’une autre équipe est toujours d’abord la faillite du Bayern. En 2009, Franz Beckenbaue­r faisait la fine bouche devant la victoire de Wolfsburg, l’un des champions présentant le plus mauvais bilan avec sept défaites et 41 buts encaissés. «Le futur champion n’aura pas beaucoup de lustre, il n’aura pas fait preuve de constance et a profité des erreurs des autres», chipotait le Kaiser. A chaque fois que le trophée se promène dans une autre ville, l’entraîneur en poste à Säbernerst­rasse fait ses valises: Giovanni Trapattoni a été viré en 1995, Otto Rehhagel en 1996, «il Trap» à nouveau en 1998, Ottmar Hitzfeld en 2004, Felix Magath en 2007, Jürgen Klinsmann en 2009.

«Tu ne bats pas le Bayern, résume Ludovic Magnin. Si tout se passe comme prévu, ils sont chaque année au-dessus. Par contre, tu peux te préparer pour être l’équipe capable de profiter de l’aubaine la saison où ils sont moins bien, ce qui leur arrive quand même de temps en temps. J’ai eu deux fois la chance de faire partie d’une de ces équipes, d’abord avec le Werder Brême en 2004 puis en 2007 avec Stuttgart.»

Selon Ludovic Magnin, actuel entraîneur de Lausanne-Sport, ces équipes opportunis­tes qui forcent leur destin ont en commun de pratiquer un football offensif. «Comme Leverkusen cette saison, Dortmund était une équipe offensive, qui prenait des risques pour aller chercher la victoire», confirme Stéphane Chapuisat à propos du Dortmund 95/97.

Cela peut paraître une banalité (il y a presque toujours une bonne ambiance dans les équipes qui gagnent) mais la propositio­n est ici inversée: c’est parce que l’ambiance est bonne que ces équipes gagnent. Pour finir devant le Bayern, qui possède les meilleures individual­ités, il faut que le tout soit supérieur à la somme des parties.

Au Fritz-Walter Stadion de Kaiserslau­tern, Otto Rehhagel avait monté une équipe très soudée, à la fois discipliné­e et libre (il reproduira la recette en 2004 avec la Grèce à l’Euro) dont il s’assurait en permanence de la motivation. «En vacances, le téléphone n’arrêtait pas de sonner, il ne me laissait jamais tranquille», a raconté Ciriaco Sforza à propos d’une époque où les portables existaient déjà mais n’étaient pas encore le prolongeme­nt de la main.

Résister à la pression

A Wolfsburg aussi, la bonne alchimie entre un mélange de joueurs expériment­és et de jeunes affamés a fait des miracles. «Au second tour, nous avions la certitude que nous tout ce que l’on tentait fonctionna­it», a expliqué Diego Benaglio dans le magazine Zwölf. Le gardien de la Nati ne rigolait pas souvent avec Felix Magath. Tout le contraire de Stuttgart, grâce aux deux Suisses Magnin et Streller. «Les autres ont compris qu’on pouvait aussi avoir du succès avec un peu de décontract­ion, a raconté Marco Streller à Zwölf. Cela a énormément contribué à l’ambiance. Nous avions une cohésion sensationn­elle. Nous sortions souvent tous ensemble, parfois même avec les conjointes.»

Construire une équipe pour aller chercher le titre passe par le terrain autant que par le vestiaire. «Cela nous a pris quelques années de monter un groupe capable de gagner, se souvient Stéphane Chapuisat. Au début, nous étions un peu tendres. On s’est renforcés au fil des années.» Dortmund récupère les stars allemandes de retour d’Italie, celles de la Juventus notamment (Andi Möller, Stefan Reuter, Jürgen Kohler). «Il faut avoir trois ou quatre joueurs qui auraient leur place au Bayern, image Ludovic Magnin. Au Werder, c’était Micoud, Ailton; à Stuttgart Osorio, Cacau, Mario Gomez.» Le plus, c’est d’avoir également un futur très grand joueur au début de sa carrière: Michael Ballack à Kaiserslau­tern, Sami Khedira à Stuttgart, Edin Dzeko à Wolfsburg.

Battre le Bayern, cela veut dire résister à la terrible pression qu’impose – volontaire­ment ou non – le club bavarois à ses rivaux. Au printemps 1998, Otto Rehhagel commence à devenir parano. Il est persuadé que toute la Bundesliga est de mèche avec le Bayern pour défavorise­r son équipe. Il faut dire que Kaiserslau­tern, qui est promu de deuxième Bundesliga et qui a entamé la saison par un surprenant succès 1-0 à Munich et une série de 13 victoires et un nul lors des 15 premières journées, traverse un gros passage à vide autour de Pâques (4 nuls et 1 défaite).

«Pour aller au bout, il faut résister le plus longtemps possible à la tentation de verbaliser cette ambition, estime Ludovic Magnin. A Brême, nous avions toujours été à la lutte pour la première place [l’équipe est restée invaincue du 25 octobre au 8 mai (victoire 1-3 à Munich)] alors qu’à Stuttgart, nous avons doublé tout le monde sur la fin. Mais les deux fois, on a réussi très longtemps à jouer sans se prendre la tête, avec juste l’idée de décrocher une qualificat­ion en Ligue des champions, rien de plus. Le discours était systématiq­uement «on prend match après match» pour garder la pression basse. Mais il y a un moment où ça n’est plus possible, bien sûr. Et là, tout change. Avec Stuttgart, même si on finit sur huit victoires consécutiv­es, je me souviens qu’on tremblait littéralem­ent en entrant sur le terrain lors du dernier match. Parce qu’en ville, tout le monde nous arrêtait pour nous parler du titre.»

Le Bayern n’est jamais aussi fort que dans ces moments-là. «Il l’était, mais je trouve que les choses ont changé avec les départs de Hoeness, Rummenigge, Beckenbaue­r, reprend Magnin. Ils attaquaien­t via la presse, tous les jours des articles dans Bild. La nouvelle direction ne sait plus trop le faire, et c’est le Bayern qui est critiqué dans Bild.»

«Tu peux te préparer pour être l’équipe capable de profiter de l’aubaine» LUDOVIC MAGNIN, ENTRAÎNEUR DE LAUSANNE-SPORT

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