Le Temps

Avec «Dragon Ball», jusqu’à la mort

Il était sans doute le dessinateu­r de manga le plus connu au monde. Akira Toriyama est décédé le 1er mars à l’âge de 68 ans. Créateur de la célèbre série «Dragon Ball», il a contribué à faire de la BD japonaise un phénomène mondial

- HUGO RUHER @HugoRuher

X«Il y a très longtemps, à quelques milliers de kilomètres de la ville, au fin fond de la montagne, commence notre histoire…» Ce sont par ces mots que s’ouvre la première page du manga Dragon Ball, paru au Japon en 1985, puis traduit en français huit ans plus tard. On y découvre alors celui qui deviendra l’icône de toute une génération: un petit garçon souriant, avec des cheveux hirsutes et une queue de singe, nommé Son Goku.

Le dessinateu­r Akira Toriyama, dont on a appris cette fin de semaine le décès survenu le 1er mars des suites d’un hématome sous-dural à l’âge de 68 ans, ne savait alors pas qu’il était sur le point de bouleverse­r sa vie et le monde du manga. Fort d’une série à succès, Dr. Slump, il avait mis fin à ses années de galère et de chômage pour devenir un auteur à succès. Entre 1980 et 1984, les aventures de cette petite fille androïde déjantée et de ce professeur obsédé sexuel ont fait de lui une sommité du monde du manga, mais aussi quelqu’un de surmené, incapable de tenir le rythme infernal que lui soumet son éditeur.

L’artiste décide alors de mettre fin à sa série culte pour se lancer dans une histoire d’arts martiaux très axée sur la comédie. C’est ainsi qu’on découvre Son Goku et ses amis devant faire face, au fil des chapitres, à des ennemis de plus en plus forts. Le petit garçon innocent des débuts devient peu à peu un expert en arts martiaux, capable de terrasser les plus puissants des monstres.

Un héros au statut divin

Mais si le héros ne se laisse jamais dépasser par les événements et reste cet être naïf et optimiste tout au long de ses aventures, le succès est moins bénéfique à Toriyama. Il ne faut pas longtemps pour que le phénomène Dragon Ball dépasse celui de Dr. Slump. A 30 ans, le natif de Nagoya se retrouve propulsé au rang de star nationale. Il enchaîne les émissions télé, voit son manga adapté en série à succès… Tant et si bien qu’il décide, une fois encore, d’arrêter.

En février 1989 sort le 16e tome de Dragon Ball, celui qui aurait dû être le dernier, avec un héros devenu adulte et faisant face à la menace du plus puissant ennemi rencontré jusque-là: Piccolo. Mais Toriyama ne connaît pas le repos et son éditeur lui impose de poursuivre. Dans la suite, intitulée Dragon Ball Z, Son Goku fait donc face à des extraterre­stres, des cyborgs, des menaces de plus en plus intenses. Il meurt, il ressuscite, il a des enfants, il se transforme à de multiples reprises. Le héros acquiert peu à peu un statut divin et une puissance incommensu­rable.

Et Toriyama continue, exalté par les histoires qu’il crée et qui se renouvelle­nt sans cesse, mais aussi fatigué par le rythme qui reste intense. La série s’exporte dans le monde entier, et le ton évolue. Finis les gags scatologiq­ues des débuts, place aux combats «testostéro­nés» entre hommes musculeux et surpuissan­ts. Toriyama ne se reconnaît plus là-dedans. En 1995, il raccroche. Définitive­ment, pense-t-il. En parallèle, il s’est lancé dans d’autres projets moins chronophag­es, comme le jeu vidéo. Il signe les graphismes de la série Dragon Quest, débutée en 1986, puis de Chrono Trigger, qui devient un véritable phénomène à sa sortie en 1995.

Récompensé à Angoulême

Mais Dragon Ball n’en a pas fini avec lui. Dès 1996, la série animée Dragon Ball GT commence à être diffusée. Avec juste une participat­ion lointaine de Toriyama, elle est souvent honnie par les fans, mais l’auteur est loin de tout ça. S’il reste extrêmemen­t secret, ne donnant que très peu d’interviews et sortant rarement des frontières du Japon, il conserve un statut de père fondateur. Même le Festival d’Angoulême, à l’époque assez défiant vis-à-vis du manga, lui concède un Prix spécial du 40e anniversai­re en 2013.

Forcé par des soucis financiers après des décennies de vide, il revient en tant que scénariste pour la série animée Dragon Ball Super, entamée en 2015, mais reste dans une semi-retraite paisible. Là est tout le paradoxe de la carrière d’Akira Toriyama. Ce qui a fait de lui une star internatio­nale est aussi ce qu’il aimait le moins. Lui qui aurait voulu n’être qu’un auteur de gags inoffensif­s est devenu le père d’une série connue pour ses combats et ses morts multiples. Le dernier arc de Dragon Ball Z, centré sur l’antagonist­e Buu, représente bien cette lutte, avec des monstres cruels et puissants, mais des tentatives d’y inclure un peu de légèreté et d’humour absurde.

Les personnage­s en danger de mort doivent exécuter une danse ridicule pour devenir plus puissants en fusionnant; le méchant sans pitié est aussi un grand amateur de bonbons et de chocolats… C’est surtout ça, Toriyama: l’art de se trouver un espace de respiratio­n dans une série qui le dépasse et qui ne lui appartient plus. De ces contrainte­s est sortie une oeuvre qui a profondéme­nt marqué la pop culture, et qui a inspiré des génération­s d’artistes. Si aujourd’hui, One Piece et Naruto sont considérés – à juste titre – comme des phénomènes culturels, Dragon Ball a ouvert le monde du manga à un public beaucoup plus large. ■

Ce qui a fait de lui une star internatio­nale est aussi ce qu’il aimait le moins

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(JOEL SAGET / AFP) En rayonnage, des exemplaire­s de la série «Dragon Ball Z».
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AKIRA TORIYAMA DESSINATEU­R

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