Le Temps

Une oeuvre riche en significat­ions

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Nous avons demandé à l’historien de l’art Xavier Tricot, auteur de nombreux ouvrages sur James Ensor, dont le catalogue raisonné de son oeuvre, de choisir deux oeuvres et de les commenter. Voici sa sélection

«L’Homme de douleurs», 1891, huile sur panneau,

21,9 x 16 cm, conservé au Musée royal d’Anvers

«Il s’agit d’un tout petit tableau, mais tellement essentiel. Tout m’intrigue dans cette oeuvre. Elle représente le Christ en tant qu’homme de douleurs, un thème très important dans la peinture religieuse. Et là, nous sommes vraiment face au triomphe de l’identifica­tion d’Ensor avec le Christ. On voit le Christ, mais ce n’est pas tout à fait le Christ. C’est Ensor, mais pas tout à fait Ensor. C’est aussi un masque. Mais quel masque? On pense surtout à un masque japonais du théâtre kabuki, en l’occurrence le masque Hannya qui représente le démon. Un démon qui fait une énorme grimace et qui a le visage peint en rouge.

Et là, nous voyons justement ce Christ-Ensor, en rouge, qui sue, pas placide comme on le voit souvent quand il est vilipendé par les soldats romains, mais avec une grimace de vengeance et de haine. Donc c’est tellement riche en connotatio­ns et significat­ions. On y voit aussi la figure du Christ vengeur, mais également celle du peintre vengeur, celui qui se venge de tout ce qu’il a vécu durant sa jeunesse, moqué par la populace d’Ostende, comme son père. Pour toutes ces raisons, d’un point de vue pictural et des significat­ions, c’est pour moi une oeuvre exceptionn­elle, que ni Van Gogh ni Gauguin n’ont peinte à cette époque-là.»

«Pierrot et squelettes», 1905, huile sur toile, 98 x 113 cm, de la collection KBC

«Cette oeuvre représente pour moi un condensé du travail d’Ensor, qui résume à la fois sa technique et ses thèmes. Il s’agit d’une mise en scène, un de ses modes d’expression de prédilecti­on. Ensor est un homme de théâtre, de lettres, qui aime le spectacle. Avec la pantomime, les masques, Pierrot et les squelettes, tout est rassemblé dans cette compositio­n. Il s’agit aussi d’une référence à une pièce de théâtre de son ami Théo Hannon, Pierrot macabre,

une petite pièce tout à fait naïve, dans laquelle Pierrot commet un meurtre. Voilà pourquoi le Pierrot d’Ensor tient un couteau ensanglant­é dans une main. Il a aussi du sang sur sa casaque blanche. Le peintre fait référence à son propre milieu mais aussi à un environnem­ent imaginaire, qui se rejoignent à chaque fois dans ses compositio­ns.» ■

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