Salon du livre: c’est toujours le premier livre qui compte
La file d’attente devant Joël Dicker ne cesse de s’allonger… Depuis midi, elle a même plus que doublé. Nous sommes au Salon du livre de Genève en ce vendredi après-midi et l’on peut raisonnablement tabler sur un record d’affluence ce week-end à Palexpo grâce précisément à la présence de l’écrivain genevois, qui publie un nouveau roman. Un Animal sauvage ne va pas marquer l’histoire littéraire? L’affaire est entendue et le constat concerne d’ailleurs aussi l’écrasante majorité de la production éditoriale. L’enjeu de ce succès se trouve ailleurs.
Il est dans le fait même d’amener les foules à lâcher leur téléphone pour lire un livre, à pousser la porte d’une librairie ou à aller au Salon se faire photographier, livre en main, avec la star. En 2024, à l’heure des flux numériques continus et configurés pour être addictifs, le livre papier, cet objet non connecté, est désiré, fêté, savouré. Il ne s’agit pas d’en faire un culte mais de rappeler que le livre ouvre à une expérience unique: la lecture longue. Et que ce tête-à-tête entre soi et les mots, entre soi et les images que suscitent les mots, n’a pas de prix en ce début des années 2020. Pour la simple raison qu’évoquait encore ce mercredi, au Salon du livre, Michel Desmurget, auteur du best-seller La Fabrique du crétin digital, suivi par Faites-les lire! (Seuil 2019 et 2023): la lecture déclenche des processus neuronaux spécifiques qui accroissent la capacité à se mettre dans la peau d’autrui, à penser par soi-même, à développer le sens critique. Autant de dispositions cruciales pour nos temps guerriers et ultra-violents, pour des démocraties fragilisées par la fabrique à haut débit de fausses informations.
Depuis la deuxième année consécutive, le Salon du livre de Genève est gratuit. Le signal est fort et a été entendu par la population, qui a repris en nombre le chemin de Palexpo après les années de pandémie. Depuis la deuxième année consécutive également, grâce à un mécène, les élèves des écoles reçoivent des bons de 15 francs pour acheter des livres (et uniquement des livres) lors de la visite de l’événement avec leur classe. «Grâce à cette aide, certains élèves achètent leur tout premier livre», se félicitait auprès de nous une enseignante.
Dans le bruit de la grande halle, dans la fièvre d’une sortie avec leur classe, des enfants vont acquérir pour la première fois un trésor très particulier: l’accès à des mondes infinis, logés dans leur tête, accessibles dans le silence de leur chambre, le soir. Plongés dans la lecture, ils sentiront, sans forcément mettre des mots sur cette sensation, qu’ils sont à la fois seuls et accompagnés et que cette compagnie-là donne des ailes. ■