Double reconnaissance pour Bessora
Après le Prix suisse de littérature, l’écrivaine helvéto-gabonaise a reçu le 8 mars le Prix Kourouma pour l’épisode initial de sa «Dynastie des boiteux»
Un beau doublé pour Bessora. Les jurés du Prix suisse de littérature se sont souvenus du passeport rouge à croix blanche de l’écrivaine helvéto-gabonaise et le Prix Ahmadou-Kourouma lui a été décerné hier dans le cadre du Salon du livre africain pour Vous, les ancêtres. La vie et l’oeuvre de Bessora s’inscrivent sur trois continents. Née en 1968 à Bruxelles, elle a grandi aux Etats-Unis, en Europe et en Afrique selon les affectations de son père ambassadeur, et, par sa mère, elle a des liens étroits avec la Suisse.
Si elle a commencé par travailler dans la finance, elle a bifurqué ensuite vers l’anthropologie. Son premier roman, 53 cm (Le Serpent à plumes, 1999), portait d’ailleurs un regard d’ethnologue sur les méandres de l’administration française, en suivant, sur le mode burlesque, les tribulations d’une jeune Africaine en quête de carte de séjour. Cette approche critique, ironique et joueuse marque toute son oeuvre. Celle-ci prend une dimension épique avec le projet de La dynastie des boiteux, une saga en quatre volumes annoncés, publiés dans le désordre chronologique.
Entêtante odeur de narcisse
Deux volumes de cette «dynastie» paraissent en 2018 au Serpent à plumes: Zoonomia et Citizen Narcisse. Leurs héros parcourent le monde en claudiquant, précédés par une entêtante odeur de narcisse. L’époque est aux changements sociaux, aux révolutions. En 1793, ce Citizen Narcisse, Breton, monarchiste entêté, fuit aux Etats-Unis. Là-bas, la Révolution le rattrape et il s’enfuit jusqu’à la réunion avec une belle amoureuse boiteuse. Or, les boiteux, dit l’Ancien Testament, auront une nombreuse descendance. En effet, c’est un rejeton de leur lignée qui débarque dans le Paris de 1848, en plein soulèvement.
Ce Johann de 15 ans, le héros de Zoonomia, cet estropié né d’une métisse, veut retrouver un père qui ne l’a jamais reconnu. Hélas, l’homme se trouve au Gabon où il exerce ses talents de naturaliste. Johann se console avec sa jolie belle-mère et se forme à la taxidermie. Il sera le premier à étudier les grands primates. Son personnage est inspiré du savant Paul Belloni Du Chaillu, premier observateur des gorilles du Gabon.
Mais d’où sont-ils issus, tous ces claudicants? Il faut attendre Nous, les ancêtres pour comprendre leur origine. On est en Cornouailles, à la fin du XVIIe siècle. Une gamine de 14 ans meurt en donnant la vie à une minuscule enfant accrochée à un narcisse dont elle refusera toujours de se séparer. Ce parfum imprégnera tous les descendants de la petite Jane. Pour le moment, petit Moïse féminin, elle flotte au fil de l’eau dans son panier.
Truculent, mouvementé, documenté
Recueillie par une bonne âme, elle se révèle boiteuse. Fille de ferme, la voilà accusée d’un vol de lait, condamnée et envoyée en Amérique comme esclave. On est en 1684. Un propriétaire autrichien, amateur de Linzertorte, l’achète puis, au bout de sept ans, l’affranchit. Devenue propriétaire à son tour, elle fait l’acquisition d’un joli prince africain. Banneka se révèle très peu porté sur le travail, mais Jane l’aime, l’épouse au défi des lois et lui donne quatre filles. A elles de transmettre la claudication et l’odeur de narcisse aux générations à venir.
Le personnage de Jane se fonde sur une figure réelle, Molly Welsh Banneker, dont le petit-fils, Benjamin Banneker (1731-1806) sera le premier savant américain issu de l’esclavage. Truculent, mouvementé, documenté aussi, Nous, les ancêtres agite des thèmes essentiels: l’esclavage, la bâtardise, le métissage, la transmission et l’héritage. L’écologie aussi, comme l’annonce l’apparition fantastique des grands primates à la fin du livre. On comprend que ce sont eux, ces ancêtres qu’apostrophe le titre. ■