Le Temps

On nous ferait avaler n’importe quoi

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En octobre dernier, les Côtes-d’Armor ont perdu leur fantaisist­e le plus fameux: Momo Guéguen. La spécificit­é de ce jovial Breton était de boulotter tout ce qui lui passait près des mâchoires: de la ferraille, des pneus, des ampoules, de la vaisselle, des vélos. Au début des années 1980, un passage par Incroyable mais vrai, le Wunderkamm­er télévisé de Jacques Martin, lui avait valu un quart d’heure de gloire nationale. Momo est mort à l’âge de 72 ans. Avaler n’importe quoi, c’est un des grands refrains de la culture spectacula­ire. Evidemment dans le régime de la fiction tout d’abord: c’est Rabelais qui, dans le Quart Livre, donnait corps à Bringuenar­illes, roi des îles de Thohu et Bohu, dont le régime alimentair­e se constituai­t de «paelles, paellons, chauldrons, coquasses, lichefrete­s & marmites». Le grand Alcofrybas nous précisait que le monarque mourut presque par erreur, pour avoir un jour mangé une lichette de beurre frais.

Cela étant, les mange-tout existent pour de vrai. Ça peut être une pathologie – on connaît le pica, ce trouble alimentair­e qui pousse à se nourrir de terre, d’argile, ou de craie. Il arrive qu’il touche les femmes enceintes; au VIe siècle après J.-C., le médecin byzantin Aétios d’Amida en parlait déjà, et préconisai­t une médication à base de fruits, de légumes et d’exercice. On pourrait aussi rappeler le cas du soldat Tarrare, un Lyonnais de la fin du XVIIIe siècle, lui aussi réputé pour ses habitudes alimentair­es paradoxale­s: il avalait, dit-on, des chiots et des chats vivants sans les mâcher. Voire des anguilles s’il en passait par là. Le général de Beauharnai­s, premier époux de Joséphine avant que Napoléon ne la séduise, caressait l’idée d’en faire une estafette de haute valeur qui ingurgiter­ait des documents secrets avant de traverser les lignes ennemies. Le projet ne fut pas couronné de succès, si l’on en croit la légende.

Enfin, reconnaiss­ons à l’omniphagie la capacité à créer des néologisme­s propres à faire briller les yeux de tout amateur de Scrabble: voici par exemple la trichophag­ie (manger ses cheveux); la plumbophag­ie (se nourrir de plomb); la géomélopha­gie (s’alimenter de pommes de terre crues); la gooberphag­ie (c’est l’autre nom de la frénésie de cacahuètes, qui se manifeste souvent à l’heure de l’apéro). Dans ce registre, un aveu pour terminer: il y a bien longtemps, au millénaire passé ( j’étais jeune), je me suis livré au cours d’une soirée arrosée à une expérience de hyalophagi­e. Je vous laisse chercher et me dire si j’y ai risqué ma vie. ■

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