Le Temps

Les Portugais de Genève face au spectre de l’extrême droite

La performanc­e du parti populiste était l’un des enjeux des législativ­es anticipées de dimanche au Portugal. Au sein de la communauté lusophone genevoise, Chega compte des adeptes mais aussi des opposants

- SYLVIA REVELLO X @sylviareve­llo * Nom connu de la rédaction.

Un «nouveau souffle», une «expérience à tenter»: lorsque Luis*, père de famille de bientôt 50 ans, évoque le parti d’extrême droite Chega («ça suffit» en français), c’est le besoin de changement qui domine. Ce samedi, il est venu avec sa fille déposer son bulletin de vote dans l’urne au consulat du Portugal à Genève comme une poignée d’électeurs, l’immense majorité ayant préféré le vote par correspond­ance.

Deuxième plus grande communauté après les Français, les Portugais représente­nt 7,3% de la population étrangère genevoise. Comment appréhende­nt-ils les élections législativ­es anticipées de ce dimanche, convoquées après la démission du premier ministre socialiste Antonio Costa? Sur les 230 députés de l’Assemblée, la circonscri­ption Europe, dont fait partie la Suisse, dispose de deux élus, aujourd’hui socialiste­s. Après huit ans de règne, le Parti socialiste pourrait perdre la majorité à l’Assemblée au profit de l’Alliance démocratiq­ue (AD), une coalition formée par les partis de droite et de centre droit.

«Il faut un changement de cap»

C’est ce qu’espère Paula*, 47 ans, qui vote social-démocrate, un parti de centre droit sur l’échiquier politique portugais. Installée à Genève depuis dix-huit ans, elle est en contact étroit avec ses parents retraités au Portugal. «Ils me parlent des problèmes d’insécurité, de l’immigratio­n incontrôlé­e et de la précarité rampante pour lesquels la gauche ne fait rien», déplore-t-elle.

Affilié au parti social-démocrate en tant que Portugais de l’étranger, le maire centriste de Thônex Bruno da Silva espère lui aussi une victoire claire de l’AD. «Il faut un changement de cap vers la droite, mais pas question de faire alliance avec Chega, c’est la ligne rouge à ne pas franchir», estime l’élu de 27 ans. De fait, la performanc­e de la formation populiste d’André Ventura est l’enjeu majeur de ce scrutin. En fonction de son score, il se peut qu’aucun des deux partis en tête ne trouve de majorité pour gouverner. Le Portugal s’alignerait ainsi sur la tendance à la droitisati­on qui gagne plusieurs pays européens, perdant son statut d’exception.

«Surfer sur le mécontente­ment»

Pour Luis, Chega a un argument de taille: il n’a jamais gouverné. «Il faut lui donner une chance», plaide-t-il en évoquant la nécessité de rétablir certaines valeurs, notamment la protection de la famille, et de mettre fin aux maux qui touchent le Portugal, chômage, crise du logement ou encore inflation. «Par le passé, j’ai voté à gauche et à droite, ça n’a mené nulle part», résume celui qui est né le jour de la Révolution des oeillets, carte d’identité à l’appui.

«La diaspora vote assez peu, ce qui donne davantage de poids aux mécontents qui se mobilisent dans un vote de défiance antisystèm­e» YVES LÉONARD, HISTORIEN SPÉCIALIST­E DU PORTUGAL ET ENSEIGNANT À SCIENCES PO PARIS

Chega sera-t-il plébiscité à Genève? «C’est possible, si l’on se réfère aux dernières élections législativ­es de 2022 où le parti qui avait obtenu au total 7,2% des voix, avait réalisé ses meilleurs scores hors du Portugal à Genève, Zurich et Bâle», indique Yves Léonard, historien spécialist­e du Portugal et enseignant à Sciences Po Paris. Un résultat qui avait surpris, les quelque 200 000 Portugais de Suisse votant jusqu’ici majoritair­ement à gauche. «Il ne faut pas oublier que de manière générale, la diaspora vote assez peu, ce qui donne davantage de poids aux mécontents qui se mobilisent dans un vote de défiance antisystèm­e», ajoute Yves Léonard.

La progressio­n de Chega qu’il assimile à un parti fasciste, Joao Machado, mécanicien d’aéronefs au CERN et installé à Genève depuis trois ans, l’observe avec inquiétude. A 35 ans, il fait partie de cette génération de jeunes diplômés contraints de quitter leur pays faute de débouchés. «Les problèmes du Portugal, à commencer par la crise du logement et le chômage, sont réels mais Chega ne propose aucune solution concrète, déplore le jeune homme. Comme d’autres partis populistes, il se contente de surfer sur le mécontente­ment et la lassitude de la population face à la corruption.» Pour Joao Machado, qui a donné sa voix au petit parti de centre gauche Libre, seul un Etat social fort est à même d’améliorer la situation au Portugal.

L’espoir d’une union de la gauche

«Le fait que l’extrême droite décomplexé­e gagne du terrain est une tendance européenne», déplore pour sa part Helena de Freitas, membre du Parti socialiste genevois et secrétaire syndicale chez Unia. Face à la montée de Chega, la binational­e espère une union de la gauche en cette année de commémorat­ion de la Révolution des oeillets (1974). Ce qui ne l’empêche pas de faire son autocritiq­ue. «La gauche a perdu le contact avec les classes ouvrières, il y a un gros effort de remobilisa­tion à faire pour ne pas les laisser tomber entre les mains de Chega.»

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