Le Temps

«Les cantons sont libres en termes d’impôt ecclésiast­ique»

Le Grand Conseil bernois a accepté mercredi dernier la motion visant à rendre facultativ­e cette imposition pour les personnes morales. Qu’en est-il d’un point de vue légal? Eclairage avec le professeur de droit Thierry Obrist

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SYLVIE SPRENGER (PROTESTINF­O)

Les entreprise­s bernoises pourront-elles bientôt se soustraire à l’impôt ecclésiast­ique? Un premier pas a été fait dans cette direction ce mercredi 6 mars, lors de la séance du Grand Conseil bernois. Si le parlement s’est refusé à opérer une coupe radicale dans les finances des Eglises reconnues du canton, il n’en a pas moins approuvé, sous forme de postulat, la motion Reinhard baptisée «Impôt paroissial facultatif pour les personnes morales».

Accepté par 93 voix contre 52 et 10 abstention­s, le texte engage dès lors les autorités cantonales à mener un état des lieux exhaustif des prestation­s d’intérêt général fournies par ces institutio­ns religieuse­s. Mais qu’en est-il du point de vue légal? Eclairage avec Thierry Obrist, professeur de droit fiscal à l’Université de Neuchâtel.

Pourquoi les personnes morales ne peuvent-elles pas, actuelleme­nt, se soustraire à l’impôt ecclésiast­ique? Les personnes physiques peuvent invoquer leur liberté religieuse pour ne pas payer d’impôts ecclésiast­iques pour une communauté religieuse à laquelle elles n’adhèrent pas. Ce droit se réfère implicitem­ent à la liberté religieuse qui est garantie à l’article 15 de la Constituti­on fédérale. Or, les personnes morales ne sont pas titulaires de la liberté religieuse, et ne peuvent donc pas invoquer ce droit fondamenta­l pour se soustraire à cet impôt si le droit cantonal prévoit un impôt ecclésiast­ique.

La situation est-elle identique s’il s’agit d’une multinatio­nale ou d’une petite entreprise familiale? Il existe une jurisprude­nce en la matière, rendue par le Tribunal fédéral. Un propriétai­re, qui avait ouvert une Sàrl où il était le seul employé, souhaitait se soustraire non seulement à titre personnel de l’impôt ecclésiast­ique en invoquant sa liberté religieuse, mais également sa société. Le TF lui a répondu qu’il avait créé une personne morale, et que sa société avait de fait une autre personnali­té juridique, qui ne pouvait plus être assimilée à sa personne. De fait, sa société était soumise à l’impôt ecclésiast­ique.

Est-ce le cas dans tous les cantons? L’impôt ecclésiast­ique est déjà facultatif pour les personnes morales dans certains cantons, comme Genève et Neuchâtel pour la Suisse romande.

Pourquoi n’existe-t-il pas d’harmonisat­ion au niveau fédéral? Il y a une loi fédérale d’harmonisat­ion, la loi fédérale sur l’harmonisat­ion des impôts directs des cantons et des communes (LHID). Les cantons doivent respecter ses règles d’harmonisat­ion lorsqu’ils prévoient certains impôts. Mais cette loi concerne uniquement les impôts directs: impôts sur la fortune, l’impôt sur le bénéfice ou sur les biens immobilier­s. Or, cette loi ne règle pas la question de l’impôt ecclésiast­ique, les cantons sont donc libres de faire ce qu’ils veulent dans ce domaine.

«Il est probable que le peuple bernois doive se prononcer»

Pour rendre cet impôt facultatif pour les personnes morales, il conviendra­it donc de modifier la législatio­n actuelle. A quel délai de réalisatio­n pourrait-on s’attendre? Oui la législatio­n actuelle qui prévoit un assujettis­sement devra être modifiée, et ce changement de loi sera soumis au référendum (facultatif ou obligatoir­e); il est donc probable que le peuple bernois doive se prononcer. De toute manière, le processus législatif prendra un certain temps.

Les Eglises ont-elles donc du souci à se faire? Si l’informatio­n selon laquelle les églises bernoises encaissent environ 40 millions de francs par an de l’impôt ecclésiast­ique des personnes morales bernoises est correcte, je pense que la situation va être compliquée pour elles. En effet, je peux m’imaginer que des actionnair­es demanderon­t que leur société arrête de payer cet impôt pour réduire les charges des entreprise­s concernées. J’ai eu vent des difficulté­s financière­s des Eglises reconnues officielle­ment dans un canton dans lequel une grosse multinatio­nale a cessé de payer l’impôt ecclésiast­ique et la situation a été délicate.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland