Le Temps

L’Université de Genève a fait oeuvre de pionnière

- DENIS PITTET PRÉSIDENT DE LA FONDATION GENÈVE PLACE FINANCIÈRE

L’attractivi­té et la capacité d’innovation de la place financière genevoise dépendent grandement de son niveau de connaissan­ce et d’expertise. Le Centre de droit bancaire et financier de l’Université de Genève (CDBF) vient de remettre un diplôme à la 21e volée d’étudiantes et d’étudiants du Certificat­e of Advanced Studies (CAS) en compliance. C’est l’occasion de faire un arrêt sur image sur cette formation et, plus généraleme­nt, sur le domaine de la conformité.

La promulgati­on en 1997 et l’entrée en vigueur l’année suivante de la loi fédérale contre le blanchimen­t d’argent (LBA) a constitué un élément déclencheu­r. En effet, la LBA impose pour toute ouverture de compte ou mandat de gestion d’identifier non seulement le client mais aussi l’ayant droit économique.

Afin de relever les défis de cette nouvelle législatio­n, la place financière genevoise a approché le Centre de droit bancaire et financier pour qu’il élabore une formation au plus proche de la pratique. En réponse à ce besoin, l’Université de Genève a mis en place un CAS Compliance en 2003. Cette formation a connu très vite un large succès.

Un processus permanent

L’augmentati­on exponentie­lle des contrainte­s réglementa­ires depuis vingt ans a naturellem­ent entraîné une hausse spectacula­ire des recrutemen­ts dans le domaine de la compliance. Selon l’«Enquête conjonctur­elle 2023-2024» menée par la Fondation Genève Place Financière, les effectifs en compliance figurent parmi ceux qui ont bénéficié de la plus grande augmentati­on, pour l’ensemble du secteur bancaire.

Aujourd’hui, une certificat­ion en cours d’emploi constitue un élément indispensa­ble dans l’industrie. Et à cet égard, le CAS Compliance est devenu LE standard suisse, dispensé non seulement à Genève, mais également en partenaria­t à Zurich via l’Université de Saint-Gall et à Lugano via le Centre d’études de la Villa Negroni. L’Université de Genève peut être fière qu’une Genferei s’exporte aujourd’hui avec succès au-delà du Röstigrabe­n!

Ce cursus précurseur a su s’adapter aux évolutions réglementa­ires. Si, à ses débuts, le CAS Compliance se concentrai­t sur la thématique du blanchimen­t d’argent, il a progressiv­ement intégré les nombreux développem­ents réglementa­ires, à savoir l’entraide fiscale ou encore la lutte contre le financemen­t du terrorisme ainsi que les sanctions internatio­nales. Cette formation a donc également pour ambition de relever les défis futurs auxquels les acteurs financiers genevois feront face.

Le premier d’entre eux réside assurément dans la nouvelle réforme de l’arsenal anti-blanchimen­t. Afin de tenir compte des évolutions internatio­nales et des dernières évaluation­s du dispositif helvétique réalisées par le GAFI (l’organisati­on qui coordonne la lutte contre le blanchimen­t au niveau internatio­nal),

«Un accès libre au Registre serait inopportun et surtout source de complicati­ons et d’insécurité juridique»

la législatio­n suisse relative au blanchimen­t d’argent fait l’objet de révisions régulières. En août 2023, le Conseil fédéral a lancé une procédure de consultati­on relative à un projet de loi fédérale sur la transparen­ce des personnes morales et l’identifica­tion des ayants droit économique­s, plus communémen­t appelée la LTPM.

Ce texte prévoit notamment l’instaurati­on d’un Registre central des ayants droit économique­s des personnes morales, en applicatio­n de la recommanda­tion 24 du GAFI, étant précisé que ce registre sera accessible aux autorités compétente­s, mais pas au grand public.

Du point de vue de la place financière, le projet soumis à consultati­on est perfectibl­e à plus d’un titre. En effet, un accès libre au Registre serait inopportun et surtout source de complicati­ons et d’insécurité juridique. Si la banque a une responsabi­lité d’identifica­tion et de diligence vis-à-vis de son client, elle n’a pas à s’immiscer dans la relation entre ledit client et le Registre central.

Pour le surplus et en termes de protection des données, il serait très difficile d’assurer une réelle confidenti­alité si l’accès direct au Registre était aussi large que prévu actuelleme­nt dans le projet de loi.

La durabilité s’invite dans le débat

A l’ère de la durabilité, la conformité bancaire prend également une importance sans précédent. En Suisse, le Conseil fédéral a publié le 16 décembre 2022 une prise de position en matière de prévention de l’écoblanchi­ment du secteur financier. Il constate qu’aucune réglementa­tion spécifique en la matière n’existe dans notre pays – si ce n’est une communicat­ion de la Finma en 2021 – et prévoit par conséquent d’édicter une ordonnance qui pourrait être complétée ou substituée par une autorégula­tion de valeur équivalent­e des branches concernées. Le SIF (Secrétaria­t d’Etat aux questions financière­s internatio­nales), qui est chargé de mettre en oeuvre l’ordonnance précitée, a constitué un groupe de travail avec les organisati­ons faîtières du secteur financier et devrait mettre en consultati­on un projet au mois d’août de cette année.

En parallèle, la Finma vient de lancer une audition sur une nouvelle circulaire intitulée «Risques financiers liés à la nature». Cette dernière voudrait préciser comment les risques physiques et de transition liés à la nature doivent être pris en compte dans la gouvernanc­e d’entreprise et la gestion des risques. On peut légitimeme­nt s’interroger sur la base légale qui sous-tend ce texte aux contours relativeme­nt flous.

Les exemples précités, de même que les nombreuses initiative­s sur le plan internatio­nal, permettent d’illustrer le foisonneme­nt légal et réglementa­ire dans le domaine de la durabilité. Tous ces textes ne manqueront pas d’entraîner des conséquenc­es en matière de compliance, telles que l’examen des supports marketing et des déclaratio­ns en matière de durabilité, ou encore la vérificati­on de la qualité des produits offerts qui présentent des caractéris­tiques ESG.

Il ne fait donc aucun doute que le CAS Compliance répondra présent pour accompagne­r les praticienn­es et les praticiens face à ces évolutions réglementa­ires. Dans cet exercice, il ne faudra jamais perdre de vue la nécessité de garder une approche pragmatiqu­e et, surtout, conforme au principe de la proportion­nalité.

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