Le départ de Thomas Jordan, symbole de la fin d’une ère
L’annonce du départ de Thomas Jordan a surpris le monde financier suisse, et même au-delà. La mise en retrait d’un banquier central emblématique de la dernière décennie ouvre désormais le débat autour de sa succession, et des éventuels changements à venir dans la conduite de la politique monétaire de la Banque nationale suisse.
Cette annonce a une résonance particulière dans le contexte actuel, et elle peut être vue comme symbolique de la fin d’une ère à l’échelle des banques centrales occidentales. Thomas Jordan aura en effet été un acteur majeur durant une période où les frontières de la politique monétaire ont été repoussées bien au-delà de ce qui avait prévalu jusqu’alors. Et bien au-delà de ce qui pouvait être seulement imaginé en 2007 lorsqu’il est devenu membre de la direction générale!
Qui aurait pu croire à l’époque que les achats d’actifs par les banques centrales, à coups de centaines de milliards, deviendraient «monnaie courante»? Que la Suisse pourrait mettre en place un système de change quasiment fixe avec ses voisins européens, avant d’y mettre brutalement un terme? Que les taux d’intérêt pouvaient descendre à zéro et même devenir durablement négatifs? Que la BNS serait prête à accumuler des réserves de change bien supérieures au produit intérieur brut annuel de la Suisse? Que les banques centrales seraient régulièrement mises à contribution pour fournir des liquidités, dans des proportions que l’on peut difficilement appréhender, à chaque soubresaut de l’économie ou du système financier?
Crainte de s’ennuyer
Assurément, Thomas Jordan aura été aux premières loges de cette période «d’innovation» sans précédent pour la politique monétaire, au côté des présidentes et présidents successifs de la Fed, de la BCE et des autres banques centrales.
C’est peut-être le sentiment d’avoir «fait le tour» de ces expérimentations – voire la crainte de s’ennuyer? – qui a poussé le président de la BNS à se démettre de ses fonctions. La conduite des politiques monétaires est en effet redevenue beaucoup plus «conventionnelle» ces deux dernières années: relever les taux d’intérêt face à l’accélération de l’inflation, remiser au passage les taux d’intérêt à zéro ou négatifs, retirer les liquidités injectées lors des crises successives en réduisant progressivement la taille des bilans, et maintenant calibrer le niveau des taux d’intérêt au plus juste pour contenir les pressions inflationnistes sans pénaliser inutilement l’activité économique.
De la politique monétaire «à l’ancienne», en somme, que retrouvent également les futurs ex-confrères de Thomas Jordan en Europe, aux Etats-Unis, et peut-être même bientôt au Japon.
En écoutant, ces derniers jours, Jerome Powell ou Christine Lagarde expliquer qu’ils ne veulent pas se précipiter pour desserrer les taux d’intérêt, alors même que l’inflation ralentit, on ne peut s’empêcher d’être frappé par le contraste avec la décennie précédente.
Pendant plus de dix ans, la Fed, la BCE ou la BNS ont tout mis en oeuvre pour que les conditions monétaires ne deviennent surtout pas restrictives. Elles hésitent désormais à les assouplir. C’est donc bien un chapitre particulier de l’histoire de la politique monétaire qui se referme et, pour la BNS, Thomas Jordan en aura été l’auteur principal. Le récent retour à des taux d’intérêt «normaux» en marque la conclusion, et l’heure était venue de passer la main.
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